Résultats des connaissances sur cancer du sein chez les femmes congolaises à Kinshasa: une étude transversale
Pierre Joseph Ingala Amasa, Malka Salamo Azama, Etienne Dienga Tshofu, Fidèle Djamba Okitokonda, Samuel Longanga Lenga, Éric Panzi Kalunda, Ernest Ombha Loshima
Corresponding author: Ernest Ombha Loshima, Département de Gynécologie-Obstétrique, Cliniques Universitaires de Kinshasa, Kinshasa, République Démocratique du Congo
Received: 05 Sep 2023 - Accepted: 07 Dec 2023 - Published: 29 Jan 2024
Domain: Gynecology
Keywords: Connaissance, cancer, sein
©Pierre Joseph Ingala Amasa et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Pierre Joseph Ingala Amasa et al. Résultats des connaissances sur cancer du sein chez les femmes congolaises à Kinshasa: une étude transversale. PAMJ Clinical Medicine. 2024;14:13. [doi: 10.11604/pamj-cm.2024.14.13.41634]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/14/13/full
Research
Résultats des connaissances sur cancer du sein chez les femmes congolaises à Kinshasa: une étude transversale
Résultats des connaissances sur le cancer du sein chez les femmes congolaises à Kinshasa: une étude transversale
Knowledge regarding breast cancer in Congolese women in Kinshasa: a cross-sectional survey
Pierre Joseph Ingala Amasa1, Malka Salamo Azama2, Etienne Dienga Tshofu3, Fidèle Djamba Okitokonda4, Samuel Longanga Lenga5, Éric Panzi Kalunda6, Ernest Ombha Loshima1,&
&Auteur correspondant
Introduction: en République Démocratique du Congo, le cancer du sein est une pathologie très fréquente (24%), malheureusement, il est de découverte tardive par manque de dépistage. La présente étude a pour objectif, d'évaluer le niveau des connaissances des femmes congolaises à Kinshasa sur le cancer du sein et identifier les facteurs associés à l'insuffisance de connaissances.
Méthodes: une étude transversale a été menée auprès de 1296 femmes habitant la ville de Kinshasa à l'aide d'un questionnaire téléchargé sur KoboCollect. Après nettoyage, 1170 questionnaires ont été examinés. Une analyse bivariée et une analyse multivariée étaient utilisées pour analyser les facteurs associés à l'insuffisance des connaissances.
Résultats: le niveau des connaissances était insuffisant 59,9% (N=701/1170) p=0,000. Les facteurs associés significativement à l'insuffisance des connaissances étaient: le niveau d'étude (aOR=4,705, IC 95%: 7,263-3,047, p=0,000), l'absence d'allaitement (aOR=1,421, IC 95%: 1,031-1,957, p=0,032) et d'antécédents du cancer du sein (aOR=1,432, IC 95%:1,072-1,903, p=0,016), la nulliparité (aOR=1,35, IC 95%: 0,833 - 2,217, p=0,235), la non prise de la contraception hormonale (aOR=1,421, IC 95%: 1,104-1,874, p=0,007).
Conclusion: la mise sur pied de mécanismes permettant à la jeune femme congolaise à s'instruire jusqu'au niveau supérieur améliorera ses connaissances sur le cancer du sein et contribuera à la détection précoce de cette maladie pour en réduire sa mortalité.
Introduction: in Democratic Republic of Congo, breast cancer is a very common disease (24%), but unfortunately it is discovered late because of a lack of screening. The purpose of this study was to assess the level of knowledge regarding breast cancer among Congolese women in Kinshasa and to identify factors associated with inadequate knowledge. Methods: we conducted a cross-sectional study of 1296 women living in the city of Kinshasa using a questionnaire downloaded from KoboCollect. After cleaning, 1170 questionnaires were examined. Bivariate analysis and multivariate analysis were used to analyze factors associated with insufficient knowledge. Results: the level of knowledge was insufficient (59,9%; N=701/1170; p=0,000). Factors significantly associated with inadequate knowledge were: level of education (aOR=4,705, 95% CI:7,263-3,047, p=0,000), lack of breastfeeding (aOR=1,421, 95% CI: 1,031-1,957, p=0,032), a history of breast cancer (aOR=1,432, 95% CI:1,072-1,903, p=0,016), nulliparity (aOR=1,35, 95% CI: 0,833 - 2,217, p=0,235), nonuse of hormonal contraception (AOR=1,421, 95% CI: 1,104-1,874, p=0.007). Conclusion: setting up mechanisms to enable young Congolese women to educate themselves up to higher level will improve their knowledge of breast cancer and contribute to early detection of this disease to reduce mortality. Establishing mechanisms to enable young Congolese women to further their education will improve knowledge about breast cancer and contribute to achieving earlier diagnosis of this disease and reduce mortality.
Key words: Knowledge, cancer, breast
Le cancer du sein est la tumeur maligne la plus fréquente chez les femmes dans le monde et l'une des principales causes de mortalité liée au cancer [1]. Plus de 1,2 million de cas sont diagnostiqués chaque année, touchant 10 à 12% de la population féminine et représentant près de 500 000 décès par an dans le monde [1,2]. Son incidence est plus importante dans les pays développés alors que dans les pays à ressources limitées, particulièrement en Afrique, la mortalité y est plus élevée. Cette variabilité géographique des taux d'incidence et de mortalité rend compte des difficultés diagnostiques et thérapeutiques du cancer du sein dans les pays à ressources limitées [3,4]. C'est une pathologie dont les moyens diagnostiques sont de nos jours développés, allant de la détection précoce à la mise en évidence de lésions infracliniques; ce qui a nettement amélioré le pronostic dans les pays développés [5].
En France, le cancer du sein est le plus fréquent chez la femme avec une incidence qui ne cesse d'augmenter depuis les deux dernières décennies avec cependant une mortalité à la baisse. Le dépistage systématique a permis un diagnostic d'un nombre plus élevé de cancer du sein de stade précoce et potentiellement curable [6]. Malgré ces progrès importants, 70% des cas diagnostiqués en Afrique subsaharienne le sont à des stades tardifs. On relève parmi les facteurs, le manque de connaissance sur la maladie, l'absence de dépistage de masse, les pesanteurs socio-culturelles couplées au faible niveau d'instruction.
En République Démocratique du Congo (RDC), le cancer du sein étant donné sa morbidité et sa mortalité constitue un problème majeur de santé publique. Dans une étude sur profil épidemio-clinique et moléculaire du cancer du sein dans les hôpitaux de la ville Kinshasa, Kingu M et al. ont trouvé une fréquence de 24% et 94% des femmes étaient diagnostiquées à un stade avancé [7]. Plusieurs études sur le cancer du sein ont déjà été étudiées en RDC et plusieurs aspects ont déjà été abordés, mais à ce jour le résultat sur les connaissances de la femme congolaise sur le cancer du sein n'a pas encore été abordé, raison pour laquelle nous initions cette étude qui vise à évaluer le niveau des connaissances de la congolaise à Kinshasa sur le cancer du sein.
Il s'agit d'une étude transversale déroulée du 1er juin au 15 juillet 2023, évaluant le niveau de connaissance sur le cancer du sein auprès de 1170 femmes congolaises âgées de 18 ans à 65 ans habitant la ville de Kinshasa.
Critère d'inclusion: toute femme congolaise habitant la ville de Kinshasa depuis 5 ans, âgée de 18 ans à 65 ans, ayant accepté de participer à l'étude.
Collecte de données: elles ont été collectées à l'aide d'un questionnaire électronique téléchargé sur KoboCollect.
Analyse statistique: l'analyse statistique a été réalisée utilisant SPSS 26.0. Les variables qualitatives ont été décrites en termes d'effectifs et pourcentages et les variables quantitatives en termes de moyenne et écart-type.
Cotation et interprétation: chaque participante devrait répondre à un questionnaire de 12 questions. La cote de 1 était attribuée chez celle dont il existait une adéquation entre la réponse à la principale et la réponse à la question subsidiaire. La cote zéro était attribuée en cas d'inadéquation entre la réponse à la question principale et la réponse à la question subsidiaire.
Ainsi, le niveau de connaissance était coté "médiocre" pour une cote allant de 0 à 3 points, "limite" pour une cote allant de 4 à 6 points, "bon" pour une cote allant de 7 à 9 points et "très bon" pour une cote allant de 10 à 12 points. Pour faciliter les analyses statistiques deux groupes de comparaison sont constitués des enquêtées avec connaissances insuffisantes (médiocre et limites) qui ont été comparées avec celles ayant des connaissances suffisantes (bonnes et très bonnes).
Les comparaisons des pourcentages ont été effectuées selon le test de Khi-carré et des moyennes selon le test T de Student. Pour déterminer les facteurs le plus importants considérés comme déterminants de l'insuffisance de connaissance, une analyse de régression logistique selon le modèle de Backward stepwise a été utilisée. Un modèle a été élaboré en utilisant tous les facteurs soupçonnés d'être associés à des connaissances insuffisantes. La connaissance était considérée comme une variable dépendante. Le seuil de signification a été fixé à 5%.
Considérations éthiques: ce projet a été préparé conformément à la déclaration d'Helsinki et a été approuvé par le Comité d'éthique du département d'obstétrique et de gynécologie des cliniques universitaires de Kinshasa. Les données ont été traitées dans l'anonymat.
Caractéristiques sociodémographiques de l'échantillon
Le Tableau 1 résume les caractéristiques sociodémographiques avec l'âge moyen de l'échantillon (n=1170) était de 41,1±14,5 ans. La majorité avait un niveau d'étude secondaire à 57%, de l'église de réveil à 51% et commerçante de profession à 39,2%. Nos résultats sont similaires à ceux observés dans d'autres études auprès des femmes du marché en Iran et au Nigéria [8,9], où la majorité des personnes interrogées avaient moins de 40 ans, avaient fait des études secondaires.
Niveau de connaissance
Le score des connaissances de nos enquêtées sur le cancer du sein repris dans le Tableau 2, montre une différence statistiquement significative entre les deux groupes soit 7,67±0,75 des connaissances suffisantes contre 4,61±1,38 des connaissances insuffisantes (p=0,000).
Facteurs associés à l'insuffisance des connaissances
Le Tableau 3 collige les résultats obtenus de l'analyse bivariée de connaissance avec les variables sociodémographiques et les facteurs potentiels. Le niveau d'étude primaire était associé à l'insuffisance de connaissance sur le cancer du sein (p=0,000), après ajustement sur le facteur de confusion, les déterminants de l'insuffisance de connaissances étaient: le niveau d'étude primaire (aOR=4,705, IC 95% = 7,263-3,047, p=0,000), l'église de réveil (aOR=0,309, IC 95% = 0,216-0,441, p=0,000), la nulliparité (aOR=1,35, IC 95% = 0,833-2,217, p=0,235), l'absence d'allaitement (aOR=1,421, IC 95% = 1,031-1,957, p=0,032), l'absence d'antécédents du cancer du sein (aOR=1,432, IC 95% =1,072-1,903, p=0,016), la non prise de la contraception œstroprogestative (aOR=1,421, IC 95% =1,104-1,874, p=0,007).
La présente étude avait pour objectif d'évaluer le niveau de connaissance de femmes congolaises à Kinshasa sur le cancer du sein et de déterminer les facteurs associés à l'insuffisance de connaissance. Notre discussion va porter sur les caractéristiques sociodémographiques de l'échantillon, le niveau de connaissance et les facteurs associés à l'insuffisance de connaissances sur le cancer du sein.
Caractéristiques sociodémographiques
Niveau de connaissance
Dans notre série, 86,1% participantes ont déjà entendu parler du cancer du sein avec un niveau de connaissance globalement insuffisant à 60%. Une différence statistiquement significative entre les deux groupes soit 7,67±0,75 des connaissances suffisantes contre 4,61±1,38 des connaissances insuffisantes (p=0,000). Le cancer du sein est un fardeau désastreux pour les femmes du monde entier. Il existe un écart important dans les taux de survie au cancer du sein dans le monde. Selon la littérature, les taux de survie à 5 ans estimés sont d'environ 80% dans les pays développés et inférieurs à 40% dans les pays en développement [10]. Les preuves suggèrent que le fondement de la lutte contre le cancer du sein réside dans l'amélioration des résultats et de la survie grâce à une détection précoce. Mais la détection précoce suppose que les femmes soient bien informées sur la maladie et pratiquent de bonnes méthodes de dépistage.
Malheureusement, la prévalence des femmes bien informés sur le cancer du sein dans cette étude était de 40%. Ce résultat est faible par rapport à d'autres études. Asmare et al. en 2022 ont rapporté une prévalence de 56% de femmes éthiopiennes ayant des connaissances adéquates sur le cancer du sein [11]. Chez les femmes indiennes, le bon niveau de connaissance concernant le cancer du sein était de 62,99% [12]. Cette différence met en évidence les faiblesses de notre système de santé en matière de sensibilisation au cancer du sein. Il est donc primordial d'envisager des politiques de santé publique utilisant des moyens plus efficaces pour mettre l'information à la disposition de femmes. Il peut s'agir d'intensifier des campagnes de sensibilisation au cancer du sein en rédigeant de courts messages sur les réseaux sociaux, organiser des campagnes de dépistage du cancer du sein gratuites, mensuelles ou trimestrielles, par unité mobile.
Facteurs associés à l'insuffisance de connaissance
Dans notre série, les enquêtées du niveau d'étude primaire et secondaire étaient associées à 4 fois plus et une fois plus au risque de connaissance insuffisante sur le cancer du sein respectivement que celles du niveau d'étude supérieur. Ce résultat est cohérent à celui Pal et al. dans une revue systématique des études indiennes, qui a démontré une association significative entre le niveau de connaissance du cancer du sein et le niveau d'éducation [12].
Comme évoqué dans la littérature, malgré l'augmentation à 50% de la scolarisation au primaire entre 2000 et 2017 passant de 52-78%, le taux d'achèvement du primaire reste bas (75%), et la qualité de l'éducation extrêmement faible: on estime que 97% des enfants de dix ans en RDC sont en situation de pauvreté des apprentissages, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas en mesure de lire et comprendre un texte simple [13]. Ceci pourrait expliquer le faible niveau de connaissance sur le cancer du sein trouvé dans notre étude.
Dans notre série, la nulliparité, l'absence d'antécédents de tumeurs du sein et d'allaitement ainsi que la non prise de la contraception oestroprogestative sont associés à l'insuffisance de connaissances sur le cancer du sein. Ceci pourrait s'expliquer par le fait que, ces situations impliquent la faible fréquentation des milieux hospitaliers et donc une limitation à une source d'information conventionnelle qui est le personnel soignant. Asmare et al. ont également rapporté une association significative entre les antécédents familiaux de cancer du sein et le fait d'avoir un bon niveau de connaissances concernant la maladie [11].
Ceci pourrait s'expliquer en outre par le fait que la prise de la contraception œstroprogestative ainsi que l'allaitement impliquent la fréquentation des structures de soins (service de planification familiale et de consultation prénatale ou de la maternelle) ce qui pourrait améliorer l'accès à l'information en matière de cancer du sein.
Par ailleurs, la vision fataliste des participantes à l'égard de la curabilité du cancer du sein et l'attribution de son risque à Dieu et au mauvais œil pourraient être un facteur de faible niveau de connaissance. Cela concorde avec de nombreuses études qui considèrent le fatalisme comme un obstacle à l'acquisition des connaissances sur le cancer [14,15].
La présente étude a révélé un niveau de connaissance sur le cancer du sein insuffisant pour la majorité de participantes. Le niveau d'instruction émerge comme déterminant de l'insuffisance de connaissances.
Etat des connaissances sur le sujet
- Des études sur les connaissances, attitudes et pratiques sur le cancer du sein;
- Des études des déterminants de l'utilisation du dépistage du cancer du sein.
Contribution de notre étude à la connaissance
- L'identification de déterminants de l'insuffisance de connaissance sur le cancer du sein dans notre milieu;
- La proposition des recommandations pour améliorer le niveau de connaissances sur le cancer du sein pour favoriser la détection précoce et en réduire sa mortalité.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.
Tous les auteurs ont contribué à la conception et rédaction de cet article. Tous ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Nous tenons à remercier tous ceux qui ont contribué à cette étude, de près ou de loin.
Tableau 1: caractéristiques sociodémographiques de l'échantillon
Tableau 2: niveaux de connaissance des participantes
Tableau 3: facteurs associés à l'insuffisance de connaissance
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