Prise en charge des fractures évolutives du crâne à l´Hôpital Général de Référence de Niamey: à propos de 3 cas
Mahamadou Aminou Sanda, Mahamane Laminou Habibou, Abdoulwahab Issa, Hadizatou Maman, Aminath Kelani
Corresponding author: Mahamadou Aminou Sanda, Service de Neurochirurgie, Hôpital Général de Référence, Niamey, Niger
Received: 26 May 2023 - Accepted: 15 Jun 2024 - Published: 01 Jul 2024
Domain: Neurosurgery
Keywords: Traumatisme crânio-encéphalique, enfant, fracture évolutive, cas clinique
©Mahamadou Aminou Sanda et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Mahamadou Aminou Sanda et al. Prise en charge des fractures évolutives du crâne à l´Hôpital Général de Référence de Niamey: à propos de 3 cas. PAMJ Clinical Medicine. 2024;15:24. [doi: 10.11604/pamj-cm.2024.15.24.40562]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/15/24/full
Case report
Prise en charge des fractures évolutives du crâne à l´Hôpital Général de Référence de Niamey: à propos de 3 cas
Prise en charge des fractures évolutives du crâne à l'Hôpital Général de Référence de Niamey: à propos de 3 cas
Management of growing skull fracture at General Reference Hospital of Niamey: about three cases
Mahamadou Aminou Sanda1,&, Mahamane Laminou Habibou1, Abdoulwahab Issa1, Hadizatou Maman1, Aminath Kelani2
&Auteur correspondant
Les fractures évolutives du crâne sont une complication rare des traumatismes cranio-encéphaliques de l'enfant. Leur diagnostic souvent tardif se fait au stade de complications neurologiques parfois sévères. Nous rapportons 3 cas de fracture évolutive diagnostiquée chez 2 filles et un garçon, âgés respectivement de 3 ans, 6 ans et 6 mois. Ils présentaient tous un defect osseux palpable et /ou visible, associé dans deux cas à une tuméfaction du scalp, et dans un cas à une crise d'épilepsie. Tous les patients avaient bénéficié d'un scanner cérébral qui avait permis de poser le diagnostic. Le traitement avait été chirurgical, consistant en la réparation étanche de la dure-mère, suivie d'une cranioplastie par du matériel autologue dans deux cas et par du matériel synthétique dans un cas. L'évolution était favorable dans les 3 cas.
Growing skull fractures are a rare complication of head trauma in children. They are often diagnosed late after the onset of neurological complications. We here report 3 cases of growing skull fracture in 2 girls and 1 boy, aged 3 years, 6 years and 6 months respectively. They all presented with visible and/or palpable bone defect associated with scalp swelling in 2 cases and seizure in 1 case. All patients underwent brain CT scan which helped to make the diagnosis. Surgery consisting of watertight dural closure followed by cranioplasty using autologous material in 2 cases and synthetic material in 1 case was performed. The outcome was favorable in all three cases.
Key words: Head trauma, child, growing fracture, case report
Les fractures évolutives du crâne sont une complication rare des fractures linéaires observées lors des traumatismes crânio-encéphaliques en milieu pédiatrique, particulièrement chez le nourrisson [1]. Les manifestations cliniques sont peu évidentes au début, et le diagnostic se fait souvent tardivement, au stade de complications neurologiques parfois sévères [2-4]. Nous rapportons notre expérience sur 3 cas et faisons une revue de la littérature.
Nous rapportons l'expérience du Service de Neurochirurgie de l'Hôpital Général de Référence de Niamey à travers ces 3 cas cliniques.
Cas n°1
Information sur le patient: il s'agissait d'une petite fille âgée de 3 ans, ayant comme antécédent un accident de la circulation survenu un an plutôt, et un séjour de quelques jours en soins intensifs dans un hôpital régional.
Résultats cliniques: la patiente avait présenté une tuméfaction frontale post-traumatique immédiate, ayant disparu en une semaine. On n'avait aucune notion sur l'imagerie de l'époque. Quelques mois après l'accident, la mère avait constaté une tuméfaction frontale droite, pulsatile, augmentant progressivement de volume, sans autre signe associé. L'examen clinique retrouvait une tuméfaction rénitente, pulsatile, avec une dépression osseuse palpable en regard. Il n'existait pas de troubles neurologiques.
Evaluation diagnostique: le scanner cérébral sans injection de produit de contraste montrait un defect osseux frontal droit en regard de lésions hypodenses, séquelles probablement de contusion cérébrale, associées à un kyste prolongeant la corne frontale droite ou à une ectasie de cette dernière attirée dans le foyer séquellaire (Figure 1). Le diagnostic de fracture évolutive était posé et la patiente avait été opérée.
Intervention thérapeutique: le geste chirurgical avait consisté en la réalisation de 2 petits volets rectangulaires de part et d'autre des berges osseuses faisant découvrir les berges saines de la dure-mère; une plastie durale était ensuite effectuée par la galéa. Puis les tables internes et externes des 2 volets avaient été séparées permettant d'obtenir 4 volets pour la cranioplastie.
Suivi et résultats: l'évolution est marquée à J3 post-opératoire par une collection frontale liquidienne. L'imagerie par résonnance magnétique (IRM) cérébrale réalisée en post-opératoire pour mieux analyser les rapports du kyste avec le ventricule montrait les mêmes lésions décrites au scanner, en plus d'une importante collection liquidienne sous cutanée fronto-temporale droite (Figure 2 A). Devant la persistance de cette collection, on réalisa une ponction-évacuation du liquide, suivi d'un pansement compressif pendant 5 jours. L'évolution ultérieure était bonne. A un an post-opératoire, il persistait un très petit defect seulement perceptible à la palpation et l'IRM de contrôle montrait une bonne fermeture de la dure mère avec ectasie persistante de la corne frontale (Figure 2 B). Le recul de 04 ans n'objectivait aucun trouble neurologique.
Cas n°2
Information sur le patient: il s'agissait d'un nourrisson de 13 mois, sans antécédent pathologique notable, victime d'un traumatisme crânien avec impact occipital, après une chute du dos de sa mère à l'âge de 06 mois.
Résultats cliniques: il avait présenté une perte de connaissance et un céphalhématome occipital ayant régressé en 5 jours. Puis 1 mois plus tard, apparaissait une dépression pulsatile occipitale droite, puis une tuméfaction en regard et des crises convulsives de type clonique pendant le sommeil. A l'examen on retrouvait une tuméfaction occipitale droite pulsatile et rénitente à la palpation, associée à un defect osseux en regard. Il ne présentait aucun trouble du développement psychomoteur, et aucun déficit neurologique.
Evaluation diagnostique: le scanner cérébral avait montré un defect osseux occipital droit, associé à une collection intracrânienne en regard (Figure 3).
Intervention thérapeutique: le patient avait bénéficié d'une intervention chirurgicale dont le geste avait consisté à faire découvrir les berges de la dure-mère en rongeant les berges osseuses. Une plastie durale étanche avait ensuite été réalisée par la galéa, puis les fragments d'os repositionnés.
Suivi et résultats: l'évolution post-opératoire était marquée par une anémie à 6,8g/dl qui avait bénéficié d'une transfusion de sang isogroupe isorhésus. Les crises d'épilepsie avaient régressé sous Dépakine (valproate de sodium) sirop. L'évolution ultérieure était favorable, sans trouble neurologique, avec persistance cependant d'un petit defect osseux palpable, après plus de 3 ans de suivi.
Cas n°3
Information sur le patient: il s'agissait d'une petite fille de 6 ans, victime 7 mois auparavant, d'un accident de la circulation, la patiente ayant été percutée par une moto, responsable d'un traumatisme crânien avec notion de troubles de la conscience et de prise en charge dans un hôpital de district.
Résultats cliniques: il n'avait pas été réalisé d'imagerie à l'époque. L'évolution était marquée par une récupération de la conscience sans déficit neurologique. Puis 5 mois environ après le traumatisme crânien, la patiente présenta un défect osseux frontal bilatéral visible avec pulsation en regard sans tuméfaction cutanée.
Evaluation diagnostique: le scanner cérébral sans injection de produit de contraste montra un defect osseux frontal bilatéral en regard de lésions cérébrales hypodenses séquellaires frontales bilatérales (Figure 4).
Intervention thérapeutique: la patiente avait bénéficié d'un abord bicoronal, permettant une suture étanche de la dure-mère par de la galea, puis d'une cranioplastie par du méthyl méthacrylate.
Suivi et résultats: les suites post-opératoires étaient simples et l'évolution à plus d'un an n'avait noté aucun trouble neurologique.
Consentement éclairé: a été obtenu des parents des patients pour toute utilisation des données cliniques, et radiologiques.
Point de vue des patients: les familles des patients ne pensaient pas à une amélioration des enfants, surtout devant les « pulsations cérébrales sous la peau », considérées par elles comme très péjoratives. Mais finalement devant l'évolution plutôt très favorable, elles avaient exprimé leur vive reconnaissance.
Le terme de « fracture évolutive du crâne », introduit en 1961 par Lende et Erickson, constitue la plus fréquente des appellations pour décrire les complications des fractures linéaires observées lors des traumatismes cranio-encéphaliques chez l'enfant [5]. Les fractures évolutives du crâne représentent en fait une complication rare dont la première description remonte au début du 19e siècle [6]. Leur incidence varie de 0,03% à 1,6% [1,4,5,6]. Cette complication survient essentiellement chez les nourrissons et les enfants dont l'âge peut aller jusqu'à 8 ans voire 12 ans. Toutefois la majorité des cas (90,9%) est observée avant l'âge de 3 ans [1,4,5]. On retrouve une légère prédominance masculine [6]. Les circonstances de survenue des fractures évolutives sont dominées par les chutes. D'autres causes plus rares sont également rapportées: accident de la circulation, chirurgie cranio-faciale, chirurgie de craniosténose, traumatisme obstétrical, abus d'enfant [1,2,4].
Dans notre étude, nous retrouvons une prédominance féminine, et la cause principale est un accident de la circulation. Sur le plan étiopathogénique, les mécanismes précis ne sont pas élucidés. Mais de manière générale, il est admis que le facteur essentiel au développement de la fracture évolutive (FE) est la déchirure de la dure-mère en regard de la fracture linéaire du crâne. En effet, cette déchirure de la dure-mère va entrainer un déséquilibre de pression au niveau du cerveau, entre les forces centrifuges et centripètes. Ce déséquilibre localisé de force, en faveur des forces centrifuges, est accentué par la croissance cérébrale rapide de l'enfant ainsi que la pulsation cérébrale, aboutissant finalement à un défect important de la dure-mère avec altération du flux du liquide céphalo-rachidien et un élargissement de la fracture linéaire osseuse [1,5,6]. Ainsi 4 stades évolutifs vont se succéder. Le premier stade va correspondre à une séparation des bords osseux inférieur à 4mm, associée à la déchirure de la dure-mère. Au stade suivant, se forment une poche arachnoïdienne remplie du Liquide céphalo-rachidien (LCR), puis un kyste leptoméningé du fait des pulsations du LCR et de la perte du tissu cérébral. Le troisième stade correspond à l'élargissement du kyste, avec encéphalomalacie continue. Et enfin, au quatrième stade, une communication va s'établir entre le kyste et le ventricule, aboutissant à un kyste porencéphalique [5]. Les signes cliniques sont peu évidents au début. Le plus souvent, c'est la persistance d'un céphalhématome post-traumatique au-delà de 2 semaines qui fait suspecter la fracture évolutive. Plus tardivement, c'est l'apparition d'une tuméfaction du scalp ou d'un defect osseux avec pulsation en regard qui amène à poser le diagnostic. Apparaissent également les signes de complications qui aggravent la morbidité voire la mortalité: céphalées, asymétrie crânienne, déficit neurologique, épilepsie, voire exophtalmie, otorrhée et rhinorrhée en cas de fracture évolutive de la base du crâne [2-4,7,8]. Tous nos patients ont été diagnostiqués tardivement avec un délai moyen de 8 mois entre le traumatisme crânien et le diagnostic. Cependant, aucun ne présentait de complications neurologiques. Le diagnostic positif de FE est posé essentiellement par le scanner cérébral en fenêtres parenchymateuses et osseuses [6]. Celui-ci est en général réalisé tardivement du fait de la méconnaissance de cette entité. Il peut montrer les lésions aux différents stades évolutifs. Il précise également les localisations, situées principalement au niveau de la voûte du crâne. La localisation pariétale est la plus fréquente (40,9%), alors que les autres localisations sont plus rares: frontale, temporale, occipitale, base du crâne [1,2,4]. Un diagnostic précoce peut être réalisé grâce à l'IRM qui met en évidence la brèche de la dure-mère [9].
Dans notre contexte tous nos patients avaient été diagnostiqués tardivement et avaient donc bénéficié d'un scanner. L'IRM a été réalisée chez un seul patient (cas N°1), non pas dans un but diagnostique, mais pour une meilleure analyse des rapports du kyste avec le ventricule. Le diagnostic différentiel se fait essentiellement à l'étape clinique et peut faire discuter un céphalhématome, un kyste dermoide, un méningocèle ou méningo-encéphalocèle congénitale fruste [5]. Le traitement des fractures évolutives est chirurgical dans la majorité des cas. Il doit être précoce dès le diagnostic, afin d'éviter ou de réduire les complications neurologiques [8]. L'essentiel de ce traitement consiste en la réparation étanche de la dure-mère. Cette réparation peut se faire par l'utilisation de matériel autologue (galéa, fascia lata) ou de matériel artificiel. La cranioplastie est réalisée lorsque le defect osseux est important. De préférence on doit utiliser les fragments osseux qui proviennent, soit directement du pourtour de la fracture évolutive en utilisant diverses techniques comme celle qui est rapportée par Tadanori Tomita [3] et que nous avions décrit dans notre cas n°1, soit à distance comme des côtes autologues. Du matériel synthétique comme le méthyl méthacrylate pourrait aussi être utilisé [1,3,4,6]. Le pronostic des FE diagnostiquées tardivement peut être dramatique sur le plan neurologique du fait des complications déjà mentionnées. Pour éviter la survenue de ces complications, une prise en charge précoce diagnostique comme thérapeutique est indispensable. Celle-ci débute nécessairement par la surveillance étroite de tout traumatisme crânio-encéphalique survenant chez un enfant en bas âge, d'autant plus que certains facteurs, considérés comme à risque de développer une fracture évolutive, sont présents: céphalhématome persistant au-delà de 2 semaines chez un enfant de moins de 3 ans, trait de fracture linéaire avec un diastasis supérieur à 4 mm au scanner, fracture linéaire associée à une contusion hémorragique sous-jacente, et convulsion immédiate post-traumatique [2,3].
Les fractures évolutives du crâne sont rares et de diagnostic souvent tardif. Elles peuvent ainsi être responsables de complications neurologiques avec parfois de séquelles graves. De ce fait la prise en charge doit être précoce, et doit passer par une surveillance étroite de tout enfant, victime d'un traumatisme crânio-encéphalique.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d'intérêts.
Tous les auteurs ont participé à la prise en charge des patients. Mahamadou Aminou Sanda est responsable de la rédaction du manuscrit. Tous ont lu et ont approuvé sa version finale du manuscrit.
Figure 1: scanner cérébral en coupe axiale: defect osseux frontal droit en regard de lésions hypodenses séquellaires (flèche jaune); ectasie de la corne frontale droite (flèche bleue)
Figure 2: IRM cérébrale en coupe axiale, séquence T2: A) post-opératoire immédiat montrant l'importance de la collection sous cutanée en hypersignal; B) un an post-opératoire: régression totale de la collection; ectasie de la corne frontale droite
Figure 3: scanner cérébral en coupe 3D: défect osseux occipital droit
Figure 4: scanner cérébral: A) coupe axiale en fenêtre parenchymateuse montrant des hypodensités bifrontales séquellaires (flèche bleue); B) coupe axiale en fenêtre osseuse montrant le défect bifrontal (flèche rouge); C) coupe 3D montrant le défect osseux
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