La maladie de Kienböck : sémiologie radiologique d´une pathologie mystérieuse, à propos de quatre cas
François Kouda, Dondo Mara, Nizar El Bouardi, Meriem Haloua, Youssef Lamrani, Meryem Boubbou, Mustapha Maaroufi, Baddreddine Alami
Corresponding author: Francois Kouda, Service de Radiologie, CHU Hassan II, Fès, Maroc
Received: 08 Mar 2020 - Accepted: 16 Mar 2020 - Published: 30 Mar 2020
Domain: Radiology
Keywords: Lunatum, ostéonécrose aseptique, imagerie
©François Kouda et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: François Kouda et al. La maladie de Kienböck : sémiologie radiologique d´une pathologie mystérieuse, à propos de quatre cas. PAMJ Clinical Medicine. 2020;2:127. [doi: 10.11604/pamj-cm.2020.2.127.22231]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/2/127/full
Case report
La maladie de Kienböck : sémiologie radiologique d´une pathologie mystérieuse, à propos de quatre cas
La maladie de Kienböck : sémiologie radiologique d´une pathologie mystérieuse, à propos de quatre cas
Kienböck's disease : radiological semiology of a mysterious pathology, about four cases
François Kouda1,2,&, Dondo Mara1,2, Nizar El Bouardi1,2, Meriem Haloua1,2, Youssef Lamrani1,2, Meryem Boubbou1,2, Mustapha Maaroufi1,2, Baddreddine Alami1,2
1Service de Radiologie, CHU Hassan II, Fès, Maroc, 2Faculté de Médecine, Université Sidi Mohammed Benabdallah, Fès, Maroc
&Auteur correspondant
Francois Kouda, Service de Radiologie, CHU Hassan II, Fès,
Maroc
Décrite en 1910 par un radiologue autrichien, Robert Kienböck, la maladie de Kienböck ou ostéonécrose aseptique du lunatum est une affection rare dont l´histoire naturelle évolue vers un collapsus progressif du carpe avec évolution dégénérative secondaire. La négativité de l´index radio ulnaire inférieur et sa vascularisation précaire sont les principaux facteurs prédisposants. Elle peut être asymptomatique ou se manifester par la douleur et l´impotence fonctionnelle. L´imagerie confirme le diagnostic, détermine le stade évolutif permettant ainsi un choix thérapeutique adéquat. Nous rapportons les observations de quatre patients chez qui le diagnostic de maladie de Kienböck a été porté. Nous discuterons du rôle de l´imagerie dans le diagnostic et la prise en charge.
Described in 1910 by Robert Kienböck, an Austrian’s radiologist, Kienböck’s disease or aseptic osteonecrosis of the lunatum is a rare disease whose natural history evolves towards a progressive collapse of the carp with secondary degenerative evolution. The negative ulnar variance and its precarious vascularization are the main predisposing factors. It may be asymptomatic or manifest as functional pain and impotence. Imaging confirms the diagnosis, determines the stage of evolution thus allowing an adequate therapeutic choice. We report the case of four patients. We will discuss the role of imaging in diagnosis and management.
Key words: Aseptic osteonecrosis, latatum, imaging
La première description de l´ostéonécrose aseptique du lunatum a été faite en 1910 par un radiologue autrichien, Robert Kienböck [1]. C´est une maladie rare et mystérieuse, caractérisée par une nécrose avasculaire du lunatum de causes multiples, elle aboutit à une importante gêne fonctionnelle et handicap de la main [2]. Le tableau clinique est peu spécifique, d´où l´intérêt incontesté de l´imagerie qui va permettre un diagnostic précoce et un suivi adéquat [3].
Patient N°1 : il s´agit d´une jeune femme de 24 ans, sans antécédents particuliers, présentant des douleurs du poignet gauche rapidement progressives non calmées par un traitement antalgique. L´examen clinique à l´admission trouvait une diminution de la force de préhension, une douleur mécanique modérée, exacerbée à la dorsiflexion. La radiographie du poignet gauche a objectivé un lunatum collabé et condensé (Figure 1). Un complément Imagerie par résonnance magnétique (IRM) a été réalisé objectivant un lunatum aplati hétérogène avec une zone en hyposignal T1 DP non rehaussé après contraste et des zones d´œdème en hypersignal DP. On ne notait par ailleurs pas d´arthrose ou d´autre anomalie du carpe associée. Le diagnostic de la maladie de Kienböck stade IIIa a été retenu (Figure 2).
Patient N°2 : il s´agit d´un homme de 30 ans, menuisier de profession, qui consultait pour des douleurs du poignet gauche lentement progressives limitant son activité professionnelle. L´examen clinique à l´admission trouvait une diminution de la force de préhension, une douleur mécanique d´intensité modérée s´aggravant avec la mobilisation de la main. Une IRM (Figure 3) a été faite d´emblée objectivant un lunatum affaissé avec une lésion géodique du capitatum témoignant d´une arthrose luno-capitale sans autre anomalie du carpe. Le diagnostic de la maladie de Kienböck stade IV a été retenu.
Patient N°3 : il s´agit d´un jeune homme de 24 ans, maçon de profession, et ayant comme antécédent un traumatisme du poignet droit. Ses radiographies post-traumatiques immédiates étaient sans anomalies. Il consultait pour un fond douloureux persistant du poignet droit malgré les traitements antalgiques bien conduits. L´examen clinique à l´admission trouvait une diminution de la force de préhension, une douleur du poignet, exacerbée par la palpation du carpe. Un scanner a été réalisé objectivant un aspect fragmenté et condensé du lunatum (Figure 4).
Patient N°4 : il s´agit d´un jeune homme de 25 ans, mécanicien, présentant des douleurs du poignet gauche depuis un mois ne cédant pas aux traitements antalgiques. L´examen clinique à l´admission trouvait une douleur du poignet qui s´aggravait à la mobilisation de la main et à la palpation des carpes. Une radiographie standard (Figure 5) et un scanner (Figure 6) ont été réalisés mettant en évidence une ostéonécrose du lunatum qui est fragmenté avec signe d´arthrose radio-carpienne.
Décrite depuis 1910, la maladie de Kienböck ou ostéonécrose du lunatum reste une affection rare, mystérieuse malgré le développement de l´imagerie [4]. C´est une nécrose avasculaire du lunatum qui évolue progressivement vers un collapsus du carpe [1]. Sa prévalence dans la population générale est de 0,5% et passe à 1,1-2% dans les populations exposées aux vibrations (travailleurs avec marteau-piqueurs). La maladie de Kienböck touche préférentiellement le jeune homme âgé entre 20 et 40 ans. Ces données vont dans le même sens que nos données puisque tous nos malades étaient jeunes et exerçant des professions manuelles. Cette affection peut survenir chez l´enfant, mais elle reste exceptionnelle [5]. Les lésions bilatérales sont rares (1,8%) [6]. Dans nos cas les atteintes étaient unilatérales. Les étiologies exactes et la physiopathologie restent toujours mal expliquées. Le facteur prédisposant le plus évident est la précarité de l´apport vasculaire du lunatum. La négativité de l´index radio-ulnaire inférieur est considérée par la plupart des auteurs comme un principal facteur prédisposant à la maladie de Kienböck. Toutefois, la pathogénie de la maladie de Kienböck reste multifactorielle avec une participation génétique, anatomique, mécanique et également métabolique. La nécrose avasculaire du lunatum peut être également post traumatique qu´il s´agisse des suites d´une fracture isolée, d´une luxation péri-lunaire, d´un œdème du tissu spongieux à la suite d´une fracture, d´un kyste synovial intra osseux ou d´une ostéochondrite disséquante[1, 6-8]. L´un de nos patients a présenté la symptomatologie après un traumatise du poignet. Les autres patients de par leur profession manuelle ont pu avoir eu des microtraumatismes passés inaperçu.
La symptomatologie clinique est dominée par la douleur du poignet, l´impotence fonctionnelle et la diminution de la force de préhension. La douleur est mécanique exacerbée par la dorsiflexion ou par la palpation du « point de crucifixion ». D´intensité légère au début, elle évolue par poussées en rapport avec l´évolution de la nécrose et l´apparition de tassements. Au stade tardif, la douleur est plus modérée et c´est la raideur et la perte de la force qui dominent. D´autres signes tels qu´un œdème du poignet, des troubles sensitifs du territoire du nerf médian peuvent être retrouvés [1]. La douleur et la diminution de la force de préhension étaient les symptômes prédominant dans notre série. L´imagerie est essentielle [6], en effet, elle permet de confirmer le diagnostic en objectivant une nécrose partielle ou totale du lunatum, un tassement, une fragmentation ou un collapsus du carpe [1]. Elle associe les radiographies standards, la tomodensitométrie et surtout l´IRM. Chez tous nos patients le diagnostic a été posé à l´imagerie. La radiographie standard permet d´observer d´une part des modifications du lunatum telle qu´une densification, qui va par la suite évoluer vers un aplatissement jusqu´à la fragmentation du lunatum et d´autre part l´environnement adjacent tels que la désorganisation du carpe, le pincement des interlignes articulaires indispensable pour l´évaluation du degré de la maladie [1, 9, 10].
Au scanner, des remaniements débutants du lunatum (petits traits de fracture, sclérose osseuse ou début d´aplatissement du versant radial) sont mieux appréciés, en particulier sur les reconstructions multi planaires. Les remaniements architecturaux plus tardifs peuvent également être précisés. L´arthroscanner est utile pour le bilan cartilagineux et ligamentaire [9]. L'imagerie par résonance magnétique est un complément important au diagnostic, elle montre des anomalies précoces quand les radiographies standards sont encore normales [1, 10]. En effet au stade précoce l´affection est affirmée par un aspect ischémique de l´os à l´IRM avec hyposignal en T1 focalisé au début à la partie supéro-externe de l´os ce qui semble assez spécial de la maladie de Kienböck. L´hyposignal en T2 est un signe d´aggravation qu´il soit focalisé ou total. À un stade plus évolué, l´aspect de l´os est hétérogène et on peut individualiser des géodes sous chondrales surtout au niveau du pôle proximal du lunatum. L´injection intraveineuse de gadolinium lors des séquences T1, permet d´anticiper le pronostic : le rehaussement après injection du produit de contraste permet de distinguer les zones susceptibles de revascularisation et celles qui sont définitivement nécrosées. À un stade plus avancé, la fragmentation devient évidente : l´IRM a ainsi une grande importance dans la détermination du stade évolutif de la maladie surtout au début de l´affection [10]. Les différentes techniques d´imagerie permettront d´établir une classification dont la plus utilisée est celle de Lichtman. C´est une classification fiable, reproductible, à intérêt pronostic et thérapeutique. Elle distingue quatre stades de gravité croissante [1, 9, 10] (Figure 7). Un stade IIIC a été ajouté en 2010 par Lichtman et al. et correspond à une fracture coronale du lunatum mais pas encore admis par tous les auteurs [11]. Dans notre série un cas était au stade III et les trois autres au stade IV. La découverte de la maladie au stade évolué chez nos patients peut s´expliquer par une négligence de la symptomatologie ayant conduit à un retard diagnostic.
L´évolution naturelle de la maladie de Kienböck est le passage progressif du stade I au stade IV en plusieurs années. Il n´existe pas forcément de corrélation entre la symptomatologie clinique et la sévérité des signes radiologiques [10]. Plusieurs traitements sont proposés dont le but est d´obtenir un poignet souple, mobile, indolore d´une part mais aussi de ralentir la progression de la maladie vers le collapsus du carpe d´autre part [1, 10]. Les indications tiendront compte de l´âge et de l´importance des sollicitations fonctionnelles du poignet et surtout des stades d´évolution de la maladie. Trois types de traitements se dégagent actuellement : l´ajustement des longueurs qui consiste à restaurer l´index radio-ulnaire distal soit par accourcissement du radius ou allongement du cubitus, la revascularisation du lunatum et la dénervation du poignet. Au stade I, c´est un traitement conservateur avec l´immobilisation associée à des anti-inflammatoires non stéroïdiens qui est proposé à tous les patients et peut être efficace pour soulager les symptômes. Elle peut être aidée par une attelle plâtrée ou un fixateur externe pendant 3 mois. L´échec signifie que la maladie serait déjà passée au stade II [6, 10-12]. Dans les stades II, les ajustements des longueurs isolés ou associés à une revascularisation sont le plus souvent proposés. Dans les stades III précoces, l´ajustement des longueurs associé à une revascularisation par greffon vascularisé est devenu l´indication la plus logique. Dans les stades III tardifs, en fonction du résultat de l´arthroscopie, on pourra proposer soit une tentative de reconstruction par ajustement des longueurs et revascularisation, soit une simple mise en décharge isolée, soit une résection de la première rangée du carpe chez les sujets âgés. Dans les stades IV où l´arthrose est globale, on choisira soit une dénervation du poignet, soit une arthrodèse complète du poignet [6].
La maladie de Kienböck est une pathologie rare, dont l´étiopathogénie reste encore mal élucidée un siècle après sa description. La symptomatologie est aspécifique dominée par la douleur et l´impotence fonctionnelle. La paraclinique est essentielle, associant les radiographies standards, la tomodensitométrie et surtout l´IRM qui permettront de dépister la maladie à un stade précoce de son évolution. L´imagerie va aussi permettre de classer les patients en différents stades déterminant les modalités thérapeutiques qui vont d´un traitement conservateur au début à une arthrodèse ou à une dénervation complète du poignet dans les stades avancés.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.
Tous les auteurs ont participé à ce travail. Tous ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
Figure 1 : radiographie du poignet gauche face objectivant un lunatum affaissé, hétérogène sans atteinte des autres os du carpe
Figure
2 : IRM de la main gauche séquence coronale pondérée T1 (A), DP Fat Sat (B), T1 Fat Sat après injection de Gadolinium (C) et axiale T1 Fat Sat après injection de gadolinium (D) : lunatum collabé siège d´une zone de nécrose en hyposignal T1 et DP ne se rehaussant pas après contraste. Pas de signe d´arthrose ou de collapsus du carpe
Figure
3 : IRM de la main en séquence coronale pondérée DP Fat Sat; le lunatum est affaissé en hypersignal DP hétérogène (flèche) ; lésion géodique du capitatum (étoile)
Figure
4 : scanner du poignet droit : aspect fragmenté et tassé du lunatum (flèche blanche). Remaniements arthrosiques luno-capitales : géode de l´os sous chondral (flèche rouge) ; pincement de l´interligne radio-carpienne avec irrégularité de la surface articulaire de la tête radiale (flèche jaune) : maladie de Kienböck stade IV
Figure
5 : radiographie de poignet gauche : le lunatum est condensé, affaissé et fragmenté
Figure
6 : scanner du poignet gauche: aspect condensé du lunatum réduit en plusieurs fragments (flèche blanche) ; érosion des surfaces articulaires des autres carpes (flèche noire) ; absence d´anomalie des autres structures osseuses du carpe : maladie de Kienböck stade
IV
Figure
7 : classification des lésions selon Lichtman
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