Insuffisance rénale aigue du post partum: à propos de 102 cas au centre hospitalier National de Nouakchott, Mauritanie
Fatimetou Abdelkader, Alpha Boubacar Conte, Abderrahmane Mohamed Saleh
Corresponding author: Alpha Boubacar Conte, Université de Nouakchott Al Aasriya, Centre Hospitalier National de Nouakchott, Service de Gynécologie-Obstétrique, Nouakchott, Mauritanie
Received: 13 Jun 2020 - Accepted: 03 Jul 2020 - Published: 30 Sep 2020
Domain: Obstetrics and gynecology
Keywords: Insuffisance rénale aigue, post partum, prééclampsie, facteurs des mauvais pronostique.
©Fatimetou Abdelkader et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Fatimetou Abdelkader et al. Insuffisance rénale aigue du post partum: à propos de 102 cas au centre hospitalier National de Nouakchott, Mauritanie. PAMJ Clinical Medicine. 2020;4:48. [doi: 10.11604/pamj-cm.2020.4.48.24286]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/4/48/full
Case series
Insuffisance rénale aigue du post partum: à propos de 102 cas au centre hospitalier National de Nouakchott, Mauritanie
Insuffisance rénale aigüe du post-partum : à propos de 102 cas au Centre Hospitalier National de Nouakchott, Mauritanie
Acute renal failure of the post-partum: about 102 cases at the National Hospital in Nouakchott, Mauritania
Fatimetou Abdelkader1, Alpha Boubacar Conte2,&, Abderrahmane Mohamed Saleh2
&Auteur correspondant
Dans le but d´améliorer la prise en charge de l´insuffisance rénale aigüe du post-partum dans notre contexte, nous avons effectué cette étude rétrospective de type descriptive et analytique s´étendant sur une période de 4 ans dans les services de néphrologie-hémodialyse et de maternité du Centre Hospitalier National de Nouakchott (CHN) dont l´objectif était d´étudier les aspects épidémiologique, clinique, paraclinique, et pronostique de l´insuffisance rénale du post-partum. La prévalence de l´insuffisance rénale du post-partum est élevée dans notre pays (6,09%) avec un âge moyen des patientes de 29,52 ans, la tranche d´âge de 30 à 39 ans est la plus touchée. Le tableau clinique des patientes était à majorité dominé par l´hypertension artérielle, l´oligo-anurie et le syndrome œdémateux. En plus de l´altération de la fonction rénale à la biologie, l´hyponatrémie, l´anémie et l´hyperkaliémie étaient observées chez la plupart des patientes. Les étiologies étaient dominées par la prééclampsie (61,76%) suivie par les hémorragies obstétricales (38,23%). L´évolution était favorable avec guérison dans 40,19% des cas par contre défavorable dans 59,81% des cas. Nous avons enregistré une mortalité de 9,8%. Le syndrome œdémateux, l´anémie, l´oligo-anurie à l´admission, la sévérité de l´atteinte rénale à l´admission et l´absence d´utilisation de l´hémodialyse étaient les facteurs associés au mauvais pronostic. Cette affection bien que mal documentée dans notre contexte constitue une cause de morbidité et de mortalité maternelle importante et non négligeable. L´amélioration de la qualité des consultations prénatales (CPN) pourrait contribuer à la réduction de sa prévalence par le dépistage précoce des pathologies incriminées dans les causes de cette affection.
In order to improve the management of acute post-partum kidney failure in our context, we conducted this 4 years descriptive and analytical retrospective study in the nephrology-hemodialysis and maternity departments of the Nouakchott National Hospital Center (CHN) to study the epidemiological, clinical, paraclinical and prognostic aspects of post-partum kidney failure. The prevalence of post-partum kidney failure is high in our country (6.09%) with an average age of 29.52, the 30-39 age group is the most affected. The clinical figure of patients was dominated by high blood pressure, oliguria and edematous syndrome. In addition to failure kidney function in biology, hyponatremia, anemia and hyperkalemia were observed in most patients. Etiologies were dominated by preeclampsia (61.76%) followed by obstetric bleeding (38.23%). The evolution was favorable with healing in 40.19% of cases against unfavorable in 59.81% of cases. We recorded a mortality rate of 9.8%. Edematous syndrome, anemia, oligo-anuria at the admission, severity of kidney disease at admission and lack of use of hemodialysis were factors associated with poor prognosis. This condition, although poorly documented in our context, is an important and significant cause of maternal morbidity and mortality. Improving the quality of antenatal consultations could help to reduce its prevalence by early detection of the pathologies involved in the causes of this condition.
Key words: Acute kidney failure, post-partum, pre-eclampsia, factors of bad prognosis
L'insuffisance rénale aiguë (IRA) est une urgence diagnostique et thérapeutique. Elle correspond à une chute brutale et réversible du débit de filtration glomérulaire qui se traduit par l´incapacité des reins à éliminer les produits de dégradation du métabolisme azoté (créatinine , urée, acide urique) et à contrôler l´équilibre acido-basique, hydro électrolytique, hormonal, voir osmotique [1,2]. Selon la «Kidney disease Improving Global Outcomes (KDIGO)», l´insuffisance rénale aigüe correspond à une baisse brutale de la fonction rénale définie par un des trois éléments : une élévation absolue de la créatininémie ≥ 3 mg/l (26.5Umol/l) en moins de 48 heures; une augmentation de la créatininémie ≥ 50% en 1 à 7 jours ou oligurie < 0,5 ml/kg/h sur 6 heures [3]. On parle d´insuffisance rénale aigüe du post-partum (IRA-PP), lorsque l´insuffisance rénale aigüe survient dans une période s´étendant de l´accouchement jusqu´à trois mois après ce dernier [4]. Elle partage en général, les mêmes étiologies que l´IRA du troisième trimestre de la grossesse [5,6]. Sa prévalence a chuté sensiblement depuis une vingtaine d´année dans les pays développés. Par contre, on note une diminution discrète de sa fréquence dans les pays en voie de développement où la grossesse reste encore responsable de 15 à 20% des IRA [7]. Le diagnostic étiologique n´est pas toujours aisé, vu que les tableaux cliniques et biologiques sont semblables. Dans certaines situations, l´IRA-PP peut révéler une néphropathie préexistante jusque-là méconnue [8]. L´insuffisance rénale aigüe du post-partum est grevée d´une lourde morbidité et mortalité materno-foetale [7]. C´est dans le but d´améliorer la prise en charge de l´insuffisance rénale du post-partum que nous avons effectué cette étude dont l´objectif était d´étudier les aspects épidémiologique, clinique, paraclinique et pronostique de l´insuffisance rénale du post-partum au Centre Hospitalier National de Nouakchott (CHN)
Il s´agissait d´une étude rétrospective descriptive et analytique menée dans 2 services : le service de néphrologie-hémodialyse et le service de maternité du CHN sur une période de 4 ans s´étendant du 1 janvier 2014 au 31 décembre 2017. Nous avons appelé l´IRA-PP toute altération soudaine de la fonction rénale survenue dans le délai d´un jour à 3 mois après l´accouchement avec une créatininémie supérieure à 13 mg/l et à l´échographie rénale des reins de taille normale, avec une bonne différenciation cortico-médullaire. Toutes les patientes reçues pendant la période d´étude et présentant une insuffisance rénale aiguë dans la période s´étendant de l´accouchement à la fin du 3 mois suivant l´accouchement ont été incluse dans l´étude. Toutes les patientes porteuses d´une néphropathie préexistante diagnostiquée avant la grossesse et les patientes dont les dossiers étaient incomplets ou inexploitables ont été exclues de l´étude. Pour chaque patiente incluse, les paramètres suivant ont été étudiés : epidémiologiques (l´âge, race, profession, l´origine géographique, mode de recrutement, le délai de prise en charge en néphrologie); anamnestiques : antécédents médico-chirurgicaux; HTA, diabète, et autres; antécédents gynéco-obstétricaux; paramètres cliniques qui comprenaient les signes fonctionnels, les signes généraux et les signes physiques; paramètres biologiques qui comprenaient : le dosage de l´urée sanguine, la créatininémie, l´ionogramme sanguin, la numération formule sanguine (NFS), la protéinurie (PU) des 24 H;
L´evolution : favorable pour tout cas de guérison/récupération complète (créatininémie à la sortie, diurèse à la sortie, la guérison de l'IRA-PP a été déclarée lorsque la créatininémie à la sortie est revenue à la normale (moins de 13 mg/l). et défavorable : tout cas de récupération partielle (reprise de la diurèse, une amélioration de la fonction rénale sans normalisation de la créatininémie et la non dépendance à la dialyse) ou tout cas de complications : liées à l´IRA-PP, ou autres complications ou la chronicité (absence de normalisation de la fonction rénale et la dépendance définitive de la dialyse) ou tout cas de décès et sa cause; les facteurs pronostiques : nous avons considéré deux groupes de patientes : le premier constitué des patientes avec évolution et le second constitué des patientes avec une évolution défavorable. Par analyse statistique, nous avons évalué un certain nombre de facteurs pronostiques et leur influence sur l´évolution rénale : syndrome œdémateux, HTA, la diurèse, le degré de l´IRA-PP, l´étiologie de l´IRA-PP, et la thérapeutique utilisée heures par ECBU, calcémie, phosphorémie, NFS, ASAT, et ALAT, Natrémie et Kaliémie; paramètres d´imagerie : basés sur l´échographie des voies urinaires qui évaluait la taille, la structure, la différenciation cortico-médullaire des reins, l´existence d´une dilatation pyélo-calicielle, et les autres structures abdominales ; les thérapeutiques utilisées : mesures hygiéno-diététiques : restriction hydrique en cas d´oligo-anurie ; régime désodé en cas d´inflation hydro sodée; régime pauvre en potassium ; médicaments : antihypertenseurs, diurétique ou autres. Transfusions sanguines ; hémodialyse : en urgence ou programmée, nombre de séances, durée de la dépendance.
Traitement et analyse des données: les données ont été saisies et analysées sur le logiciel SPSS.20. Les résultats ont été exprimés en nombre, moyenne, extrêmes et pourcentage. La signification de l'association a été vérifiée en utilisant le test de Chi-2 de Pearson avec une valeur de p inférieure à 0.05.
Au cours de la période de l´étude 102 patientes avaient présenté une insuffisance rénale du post partum. Ce qui représentait 6,09% de l´ensemble des patientes admises pour une prise en charge dans notre structure hospitalière. L´âge moyen de nos patientes était de 29,52 ans avec des extrêmes de 15 et 46 ans. La tranche d´âge de 30 et 39 ans était la plus représentée soit 44 ,11% des patientes. La majorité des patientes (67,6%) de notre série était transférée des centres de santé ou évacuée des hôpitaux régionaux avec un délai moyen de prise en charge médicale par rapport au jour de l´accouchement de 4,6 jours avec des extrêmes 1 à 30 jours. Sur le plan des antécédents, 19 patientes étaient hypertendues connues soit 18,6%, 29 patientes avaient une HTA gravidique soit 28,43%. La parité moyenne était de 4,11 avec des extrêmes: 1-11 pares et une prédominance des multipares (52,94%) suivie des primipares (24,50%) et des paucipares (22,56%). S´agissant de la grossesse en question, 27 patientes avaient bénéficié d´un bon suivi soit 26,5% la grossesse était monofœtale chez 100 patientes (98,03%) et gémellaire chez 2 patientes (1,96%). Le terme de la grossesse était connu chez 78 patientes parmi lesquelles 43 étaient à terme soit 55,12% alors que 35 patientes avaient des accouchements prématurés. L´accouchement s´est fait par voie basse chez 48 patientes (47,05%) et par césarienne chez 54 patientes (52,95%). Les accouchements se sont compliqués de 12 cas d´oligo-anurie (11 ,76 %), 11 cas d´éclampsie du post-partum (10,78 %), 10 cas d´hémorragie de la délivrance (9,8%), 8 cas d´état de choc (7,8%). L´hystérectomie totale a été réalisée chez 2 patientes l´une avait une rupture utérine plus hématome rétro-placentaire (HRP) sur utérus cicatriciel soit 1,96% des cas. L´issu de la grossesse était défavorable dans la majorité des cas avec une mortalité périnatale de 62 nouveau-né soit 60,8%, la principale cause de mortalité périnatale été la prématurité et l´HRP. Sur le plan clinique, les principaux signes fonctionnels que présentaient les patientes étaient la dyspnée, les céphalées et les vomissements avec des proportions respectives de 34,31%, 29,41% et 11,76%.
Sur le plan général, les œdèmes des membres inférieurs étaient retrouvés chez 68,62% des patientes, suivis d´une HTA (66,66%), d´une pâleur des muqueuses (63,72%) et une tachycardie (38,23%) des cas. On notait un état de choc dans 7,84% des cas et des troubles de la conscience allant de l´obnubilation au coma chez 6,86% de nos patientes. La fièvre, l'ictère et les signes de déshydratation étaient également rencontrés avec des proportions respectives de 9,8%, 3,92% et 2,94%. La diurèse a été quantifiée chez 81 patientes. Elle était en moyenne de 430 cc/24h avec des extrêmes de 0 - 2900 cc/24h. On notait une oligo-anurie chez 60 patientes à l´admission soit 75,30%. L´évaluation de la fonction rénale trouvait une urée sanguine moyenne à 1,23g/l (extrêmes: 0,21-4,8g/l) et une créatininémie moyenne de 53,28mg/l (extrêmes: 13 - 213mg/l). L´anémie était retrouvée chez 88 patientes soit 86,27% avec un taux d´hémoglobine moyen de 7,5g/dl (extrêmes: 2,5-15,5 g/dl) L´ionogramme retrouvait une hyponatrémie dans 45,71% des cas et une hyperkaliémie dans 43% des cas. La protéinurie de 24H a été réalisée chez 31 patientes soit 30,39% des cas. Elle était supérieure à 2g chez 6 patientes (19,35%) et entre 0,3 et 2g chez 24 patientes (77,41%). L´étude cytobactériologique des urines trouvait que l´infection urinaire était présente chez quatre patientes (5,4%) et la culture isolait Escherichia coli chez 3 patientes et klebsiella aerogenes chez 1 patiente. Du point de vu imagerie, 33 patientes avaient bénéficié d´une échographie rénale soit 32,35%. La taille des reins étaient normale dans 83% des cas. S´agissant des étiologies, la pathologie favorisante était la prééclampsie et ses complications chez 92 patientes soit 90,19 % et l´hémorragie obstétricale chez 10 patientes soit 9,81%
Sur le plan thérapeutique: 34 patientes (33,33%) ont été admises en milieu de réanimation pour la prise en charge d´une éclampsie et/ou choc hémorragique. Des mesures hygiéno-diététiques (Restriction hydrique en cas d´oligo-anurie ; régime désodé en cas d´inflation hydro sodée et régime pauvre en potassium) ont été instituées chez toutes nos patientes. Toutes nos patientes avaient reçu des solutés à base de cristalloïdes sauf celles présentant des OAP diagnostiqués à l´admission ou en cas d´IRA anurique. Soixante-huit patientes avaient reçu un traitement antihypertenseur soit 66,66%. Le principal traitement antihypertenseur utilisé était la nicardipine. Quarante-six patientes patientes ont reçu le furosémide soit 44,11%. Soixante-treize patientes avaient bénéficié d´une transfusion sanguine, soit 71,56%. Le recours à l´hémodialyse était nécessaire chez 39 patientes, soit 38,2%. Nos patientes avaient bénéficié en moyenne de huit séances avec des extrêmes de 2 à 15 séances par cathéter jugulaire ou fémoral chaque séance dure 4 heures sauf les 2 premières séances. L´évolution était favorable vers la guérison et la reprise de la fonction rénale chez 41 patientes soit 39,21%. L´évolution défavorable a été observée chez 61 patientes soit 59,8% et était marquée par une récupération partielle chez 31 patientes (30,39%), une IRC chez 20 patientes (19,6%), et un Décès chez dix patientes (9,8 %) avec pour cause de décès des sepsis sévères, des 0AP et des hémorragies digestives.
Etude analytique: nous avons réalisé une étude multi variée des différents paramètres analysés entre le groupe « évolution favorable » et le groupe « évolution défavorable », pour ressortir les facteurs de mauvais pronostic. Les moyennes de l´urée sanguine et de la créatininémie initiales étaient respectivement de 0, 56g/l et 22,12mg/l pour les patientes ayant une évolution favorable contre 1,67g/l et 74,23mg/l pour les patientes ayant une évolution défavorable. La différence était statistiquement significative pour les deux paramètres (p < 0,05). Parmi les patientes hémodialysées, 7,3% des cas avaient récupéré une fonction rénale contre 59% qui n´avaient pas récupéré dans le groupe non hémodialysé. La différence était statistiquement significative (P = 0,000). Au total, les facteurs de mauvais pronostic retrouvés étaient: syndrome œdémateux, l´anémie, l´oligurie à l´admission, la sévérité de l´atteinte rénale à l´admission et l´absence d´utilisation de l´hémodialyse.
L´insuffisance rénale aigüe du post-partum (IRA-PP) est une complication sérieuse et fréquente dans les pays en voie de développement comme nous l´observons dans notre étude où la prévalence est estimée à 6,09%. Cette prévalence importante témoigne l´impact morbide que pourrait avoir cette pathologie si elle était bien évaluée dans notre contexte et doit nous interpeller afin d´améliorer le suivi des grossesses dans nos différentes structures. Les patientes de notre série appartenaient majoritairement à la tranche d´âge de 30 à 39 ans avec une moyenne d´âge de 29,52 ans. Cette moyenne d´âge trouvé dans notre étude corrobore avec les résultats rapportés dans des études effectuées en france [9], au pakistan [10] et au Maroc [11] où les auteurs rapportent des moyennes d´âge de l´ordre de 29 et 30 ans. Cliniquement, l´oligoanurie, l´hypertension artérielle, et un syndrome œdémateux étaient présents chez la majorité de nos patientes avec des fréquences respectives de 75,30%, 68,62%, et 68,60%. Dans une étude réalisée au maroc, Skalli et al. [12] rapportaient une fréquence de 68% d´HTA parmi les manifestations cliniques des patientes de leur série. Ghezaiel et al. [13] quant à eux notaient dans leur étude 72,7% de cas d´oligoanurie. Le taux élevé d´oligo-anuries dans notre étude pourrait s´expliquer par le retard dans le diagnostic et la prise en charge. Les syndromes œdémateux rentrent également dans le cadre du syndrome prééclamptique, ou constituent une surcharge hydrosodée inhérente à l´IRA-PP oligoanurique [14]. L´urée sanguine constitue à partir de certaines valeurs un critère de gravité pour l´IRA, un taux supérieur à 3g/l est souvent corrélé à une encéphalopathie urémique, constituant une indication d´une épuration extra rénale (EER) en urgence [15].
Dans notre étude l´urée sanguine moyenne était de 1,23g/l (extrêmes : 0,21-4,8g/l) elle était sup à 3g/l chez 4,9% des patientes ceci est comparable aux résultats rapportés par Kabbali [11] qui avait noté une urée moyenne de 1,4±0,9g/l tandis que le pakistanais Khalil [10] dans son travail sur le même thème portant sur 40 femmes retrouvait une valeur moyenne d´urémie de 0,98g/l nettement plus inférieure à celle trouvé dans notre étude. L´augmentation physiologique du débit de filtration glomérulaire (DFG) chez la femme enceinte abaisse la créatininémie de 0,4 à 0,5mg/dl, ce qui peut masquer une altération précoce de la fonction rénale. Les recommandations des experts de 2008 définissent un seuil pathologique chez la femme enceinte pour une valeur de créatininémie plasmatique supérieure à 10 mg/l [16]. La créatininémie moyenne dans notre série était de 53,28mg /l avec des extrêmes de13 à 213mg/l, ce résultat est similaire à celui de Skalli et al. [12] qui avaient noté une créatininémie moyenne de 53 mg/l. Alors que d´autres auteurs [17,18] rapportaient dans leurs études des chiffres plus élevés que celui de notre étude avec des taux moyens de créatininémie de 96,08mg/l et 66,7mg/l. Cette élévation de la créatininémie moyenne dans notre étude pourrait être expliquée par le retard de prise charge des patientes secondaire au mauvais suivi prénatal et à la non gratuité des bilans, ainsi qu´au bas niveau socioéconomique des patientes. La NFS mettait en évidence une anémie dans 86,26% des cas avec une thrombopénie dans 45,09% des cas. L´anémie au cours de l´insuffisance rénale du post-partum (IRA-PP) relève de plusieurs étiologies essentiellement l´accouchement hémorragique et l´hémolyse mécanique dans le cadre d´un HELLP syndrome ou à une micro angiopathie thrombotique qui aggravent souvent l´anémie carentielle fréquente dans nos régions [19]. Pour rechercher des critères de gravité de l´IRA-PP l´ionogramme avait été prescris pour toutes les patientes. Elle n´a cependant pu être réalisée que chez 70 patientes parmi lesquelles 45,71% avaient une hyponatrémie et 43% une hyperkaliémie.
La pré-éclampsie est rapportée par la plupart des auteurs comme étant une cause fréquente d´insuffisance rénale du post- partum [11, 15,17,18]. Dans notre étude, elle en représentait la principale cause. Sur le plan thérapeutique, 66,66% de nos patientes ont bénéficié d´un traitement antihypertenseur. Ce qui se révèle être supérieur aux résultats rapportés par Lemrabott et al. [17] au Sénégal (41,8%) et par kabbali et al. [11] au Maroc (45%). Cette utilisation importante de ce traitement est due au nombre important de patientes hypertendues dans notre série. Dans notre série le furosémide a été utilisé chez 46 patientes soit 44,11%. Le furosémide bien que largement utilisé pour la relance de la diurèse afin de passer le cap d´oligurie d´une IRA ne permet aucunement de récupérer plus rapidement la fonction rénale ni de réduire la mortalité maternelle et le recours à l´hémodialyse [20]. Son utilisation peut même être dangereuse en induisant une diurèse forcée qui risque d´exposer à une hypo perfusion rénale suite à une hypovolémie [21]. L´hémodialyse demeure cependant la méthode la plus utilisée dans le traitement de suppléance de l´IRA [20]. Nous en avons eu recours pour 39 patientes (38,2%). L´évolution favorable vers la guérison et la récupération complète de la fonction rénale a été notée chez 40,2% des patientes. Nos résultats sont nettement inférieurs à ce qui est rapporté par d´autres auteurs [10,17]. Ceci est expliqué par le retard de prise en charge et surtout que 67,6% de nos patientes étaient évacuées. Par contre, l´évolution défavorable était notée chez 59 ,8% des patientes, avec une récupération partielle dans 30,39% des cas. La chronicité élevée dans notre série, par rapport aux séries d´autres auteurs [10,17] pourrait être expliquée par la persistance d´un long retard diagnostique et d´une prise en charge initiale inadéquate. Dans notre série, tout comme dans la plupart des séries [10, 11,15,17], la mortalité maternelle était importante avec des taux considérables et alarmants. Le syndrome œdémateux, l´anémie, l´oligurie à l´admission, la sévérité de l´atteinte rénale à l´admission et l´absence d´utilisation de l´hémodialyse étaient les facteurs pronostics retrouvés avec une différence statistiquement significative.
L´insuffisance rénale aigüe du post-partum demeure une pathologie fréquente. La pré éclampsie représente l´étiologie la plus fréquente, suivie de l´état de choc hémorragique. L´optimisation du pronostic maternel et fœtal implique une approche multidisciplinaire, avec une prise en charge des patientes dans une unité d´obstétrique expérimentée et disposant d´une unité de néonatologie attenante, en coopération étroite avec l´équipe de réanimation et de néphrologie. Cette affection bien que mal documentée dans notre contexte constitue une cause de morbidité et de mortalité maternelle importante et non négligeable. L´amélioration des CPN pourrait contribuer à la réduction de sa prévalence par le dépistage précoce des pathologies incriminées dans les causes de cette affection.
Etat des connaissances sur le sujet
- L'insuffisance rénale aiguë (IRA) est une urgence diagnostique et thérapeutique;
- Sa prévalence a chuté sensiblement depuis une vingtaine d´année dans les pays développés. Par contre, on note une diminution discrète de sa fréquence dans les pays en voie de développement où la grossesse reste encore responsable de 15 à 20% des IRA;
- Le diagnostic étiologique n´est pas toujours aisé, vu que les tableaux cliniques et biologiques sont semblables. Dans certaines situations, l´IRA-PP peut révéler une néphropathie préexistante jusque-là méconnue.
Contribution de notre étude à la connaissance
- Dans notre étude, les étiologies étaient dominées par la prééclampsie (61,76%) suivie par les hémorragies obstétricales (38,23%). L´évolution était favorable avec guérison dans 40,19% des cas par contre défavorable dans 59,81% des cas;
- Le syndrome œdémateux, l´anémie, l´oligo-anurie à l´admission, la sévérité de l´atteinte rénale à l´admission et l´absence d´utilisation de l´hémodialyse étaient les facteurs associés au mauvais pronostic;
- Cette affection bien que mal documentée dans notre contexte constitue une cause de morbidité et de mortalité maternelle importante et non négligeable. L´amélioration de la qualité des consultations prénatales (CPN) pourrait contribuer à la réduction de sa prévalence par le dépistage précoce des pathologies incriminées dans les causes de cette affection.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.
Fatimetou Abdelkader : conception et mise au point de l'étude ; analyse et interprétation des données et approbation de la version soumise ; Alpha Boubacar Conte et Abderrahmane Mohamed Saleh ont procédé à l´interprétation des données et à l´écriture de l´article. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
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