Polyglobulie et hypercalcémie associés à un carcinome à cellule rénale : à propos d´un cas et revue de la littérature
Hayat Erraichi, Niaina Ezra Randriamanovontsoa, Valère Litique, Lamiae Amaadour, Karima Oualla, Zineb Benbrahim, Nawfel Mellas, Jean-Marc Limacher
Corresponding author: Hayat Errachi, Service d´Oncologie Médicale, CHU Hassan II, Fès, Maroc
Received: 15 Aug 2020 - Accepted: 18 Jan 2021 - Published: 22 Jan 2021
Domain: Oncology
Keywords: Cancer du rein, polyglobulie, syndrome paranéoplasique, hypercalcemie
©Hayat Erraichi et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Hayat Erraichi et al. Polyglobulie et hypercalcémie associés à un carcinome à cellule rénale : à propos d´un cas et revue de la littérature. PAMJ Clinical Medicine. 2021;5:32. [doi: 10.11604/pamj-cm.2021.5.32.25579]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/5/32/full
Case report
Polyglobulie et hypercalcémie associés à un carcinome à cellule rénale : à propos d´un cas et revue de la littérature
Polyglobulie et hypercalcémie associés à un carcinome à cellule rénale: à propos d´un cas et revue de la littérature
Polyglobulia and hypercalcaemia associated with renal cell carcinoma: about a case and literature review
Hayat Erraichi1,&, Niaina Ezra Randriamanovontsoa2, Valère Litique2, Lamiae Amaadour1, Karima Oualla1, Zineb Benbrahim1, Nawfel Mellas1, Jean-Marc Limacher2
&Auteur correspondant
Traditionnellement, 80% des tumeurs du rein sont découvertes par la triade classique: hématurie macroscopique, lombalgie et masse du flanc, et 30 à 40% des patients se présentent avec une maladie locale avancée ou des métastases. Parfois, on peut découvrir le cancer d'une manière fortuite ou révélée par un syndrome paroplasique tel que l'hypercalcémie, l'anémie et plus rarement la polyglobulie. Cet article rapporte un cas de carcinome à cellule rénales associant une hypercalcémie et une polyglobulie.
Historically, 80% of kidney tumors have been detected based on the classic triad of symptoms: macroscopic haematuria, lower back pain and flank mass; 30-40% of patients present with locally advanced or metastatic disease. Sometimes, cancer is detected fortuitously or revealed by a paraneoplastic syndrome such as hypercalcemia, anemia, and, more rarely, polyglobulia. This study reports a case of renal cell carcinoma combining hypercalcemia and polyglobulia.
Key words: Kidney cancer, polyglobulia, paraneoplastic syndrome, hypercalcemia
En France, le cancer du rein est le 9e cancer de l´adulte. Il s´agit du 3e cancer urologique en terme d´incidence après les cancers de la prostate et de la vessie, mais s´avère le plus mortel. L´incidence du cancer du rein augmente constamment depuis 30 ans du fait de la généralisation des examens d´imagerie abdominale et peut-être également à cause de facteurs environnementaux. Ce cancer touche plus l´homme que la femme [1]. Le carcinome à cellules rénales (CCR) est une tumeur relativement courante, représentant environ 3% des tumeurs malignes chez l´adulte [2]. Bien que le cancer du rein se manifeste classiquement par une masse palpable, une symptomatologie urinaire, une hématurie et une douleur au flanc, plus de 10 à 40% des patients atteints de carcinome rénal présentent des syndromes paranéoplasiques, en particulier une hypercalcémie, une hypertension et une polyglobulie [3,4]. Dans moins de 5% des cas, les cellules tumorales synthétisent de l´érythropoïétine (EPO) à l´origine de la polyglobulie secondaire. La polyglobulie est définie par une élévation de l´hématocrite supérieure à 50 chez l´homme et supérieure à 44% chez la femme [5]. Dans l´article suivant, nous rapportons le cas d´un cancer de rein associé à une hypercalcémie et polyglobulie chez un jeune patient.
Le patient est âgé de 57 ans, aux antécédents d´une tendinite d´Achille droite et du tabagisme chronique sevré en 1995. Il s´est présenté aux urgences en fin août 2019 suite à l´apparition d´une douleur intense au niveau du flanc droit évoluant dans un contexte d´apyrexie. Un bilan biologique a été réalisé en faveur de ce qui suit : hémoglobine levée (hb=18,8g/dl), hématocrite élevée (à 55%), plaquettes à 14,34 giga/l, polynucléaires neutrophiles (PNN) à 13 giga/l, natrémie à 138mmol, kaliémie à 4,7mmol, créatinine à 125umol/l, débit de filtration glomérulaire (DFG) à 55ml/mn, urée à 7,1 mmol et Protéine C réactive (CRP) à 234 (Tableau 1). Une imagerie abdominale à base de scanner réalisée en faveur d´une énorme masse rénale gauche suspecte. Le patient est transféré par la suite au service d´onco-hématologie pour prise en charge spécialisée. À son admission au service, le patient a été très algique à sa mise sous traitement antalgique par les opiacés. L´évolution a été marquée par l´amélioration de la douleur, mais également par l´installation d´un syndrome sub-occlusif, probablement en rapport avec le traitement par morphinique ainsi que par une hypercalcémie corrigée élevée (2,89 mmol/l). L´administration des biphosphonates a permis l´amélioration biologique de la calcémie et la levée de l´occlusion, rendue possible par l´utilisation des laxatifs. Un contrôle de la numération formule sanguine (NFS) a montré un taux d´hémoglobine à 18,6 avec un taux d´érythropoïétine à 67mUI/ml (N: 2,6 et 18,5).
Un bilan d´extension par un scanner thoraco-abdomino-pelvien réalisé le 29/08/2019 en faveur de ce qui suit: volumineux syndrome de masse tumorale tissulaire avec une composante nécrotique médio-rénale et polaire inférieure gauche de 77x61x75mm, responsable d´une minime dilatation des cavités calicielles avec infiltration de la graisse péri-rénale gauche et adénomegalie nécrotique au niveau du hile rénal gauche, adénopathies médiastino-hilaires bilatérales avec des métastases pulmonaire bilatérales, surrénaliennes et osseuses (Figure 1, Figure 2). À l´étage cérébral, nous avons noté la présence de plusieurs métastases cérébrales avec œdème péri-lésionnel important. La biopsie percutanée de la tumeur rénale gauche a été réalisée. À la suite de l´examen microscopique, l´histologie de la tumeur rénale a montré un CCR à cellules claires (Figure 3, Figure 4). Un syndrome paranéoplasique était soupçonné d´expliquer la polyglobulie et l´hypercalcémie chez le patient.
L´évolution chez le patient a été marquée par une décharge infectieuse confirmée par la positivité des hémocultures à Klebsiella et E. coli évoluant favorablement sous antibiothérapie. Deux jours après, nous avons noté une majoration des douleurs lombaires gauches améliorée sous traitement antalgique. La réalisation d´un scanner abdomino-pelvien a posé le diagnostic d´une rupture calicielle moyenne avec urinome gauche. Une pose de néphrostomie a été mise en urgence. Après concertation pluridisciplinaire, la néphrectomie n´était pas retenue chez ce patient, surtout que le taux d´hémoglobine après le geste de néphrostomie s´est normalisé à 14,5g/dl. La décision prise a suggéré de mettre le patient sous Pazopanib, mais après irradiation encéphalique in toto, à noter également que le patient a présenté une importance fonctionnelle du membre inferieure gauche avec mise en évidence d´une image ostéolytique, d´où la réalisation d´un enclouage préventif.
Dans notre cas, le patient présente deux syndromes paranéoplasiques l´hypercalcémie et la polyglobulie. L´hypercalcémie est le syndrome paranéoplasique le plus commun, touchant entre 10% et 20% des patients atteints de CCR [6-8] (Tableau 1). Parmi les personnes atteintes d´hypercalcémie et de CCR, environ 75% présentent des lésions de stade avancé avec des métastases [9]. C´est le cas de notre patient qui a présenté un cancer de rein métastatique au niveau pulmonaire, ganglionnaire, surrénalien et osseux. Environ 50% de tous les patients atteints d´hypercalcémie et de CCR présentent des métastases osseuses [10]. L´hypercalcémie dans ce cas est appelée hypercalcémie métastatique. Les métastases osseuses du CCR semblent élaborer des substances qui activent les ostéoclastes, provoquant ainsi la libération de calcium des os. La sécrétion locale de prostaglandines par des lésions métastatiques du CCR a également été impliquée dans les taux élevés de calcium sérique observés chez ces patients [11]. Cliniquement, cette forme d´hypercalcémie est principalement associée à des plaintes de douleur osseuse, ce qui explique les douleurs osseuses rapportées par notre patient et qui nous a poussé à administrer un traitement à base de biphosphonate et une bonne hydratation intraveineuse qui a mené à une bonne évolution clinique et biologique.
Une polyglobulie a été observée dans 1 à 8% des cas de CCR [8]. Chez ces patients, des concentrations élevées de globules rouges dans le sérum seraient attribuables à l´érythropoïétine (EPO). C´est une glycoprotéine qui favorise la production des globules rouges induisant la différenciation des unités formant des colonies d´érythrocytes dans la moelle osseuse [8]. À l´état physiologique normal, l´EPO est produite par les cellules interstitielles rénales péri-tubulaires en réponse à l´hypoxie tissulaire locale. Alors, en cas de carcinome à cellule rénale, cette glycoprotéine est produite par les cellules tumorales. En fait, la production ectopique d´EPO se trouve dans 66% des cas de CCR [12]. En plus de la production cellulaire néoplasique d´EPO, les cellules péri-néoplasiques dans le CCR peuvent également contribuer aux niveaux d´EPO totaux secondaires à la compression tumorale locale et à l´hypoxie tissulaire résultante [13, 14]. Bien que les deux tiers des patients atteints de CCR présentent des taux d´EPO élevés, seulement 8% souffrent de polyglobulie. Il existe des preuves suggérant que les cellules tumorales peuvent produire une forme inactive d´EPO [15]. L´élévation de l´EPO chez les patients ayant un cancer du rein a une valeur péjorative car elle témoigne d´une tumeur évoluée [16, 17]. Enfin, une polyglobulie secondaire peut être associée à d´autres types de cancers : hépatocarcinome [17], hémangioblastome du cervelet [18] et aussi à d´autres pathologies rénales: polykystose, hydronéphrose, sténose de l´artère rénale [19]. La polyglobulie, comme les autres syndromes paranéoplasiques, est réversible et disparaît après la néphrectomie [20]. Cependant, notre patient n´a pas eu une néphrectomie au vu du caractère métastatique de sa maladie. Mais un traitement par les inhibiteurs de tyrosine kinase à base de pazopanib a été démarré.
La triade classique de masse palpable, d´hématurie et de douleur au flanc se produit chez moins de 15% des patients atteints de carcinome à cellules rénales (CCR). Cependant, 10% à 40% des patients atteints de cette maladie peuvent avoir un syndrome paranéoplasique associé ou révélateur de la maladie dont l´hypercalcémie reste la plus fréquente. La polyglobulie est rarement décrite. Mais quand elle est présente, elle est considérée pour beaucoup comme un facteur de mauvais pronostic car elle est souvent associée à un cancer métastatique. Ce constat est bien illustré par l´étude de cas de notre patient.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.
HE a écrit l'article. RE, VL: contribution à la collecte de données cliniques. KO, LA, ZB et NM: revoir l'article écrit de manière critique. JML: approbation finale de la version à publier. Le travail présenté ici a été réalisé en collaboration entre tous les auteurs. Tous les auteurs ont lu et approuvé le manuscrit final.
Tableau 1: numération formule sanguine au moment du diagnostic
Figure
1: scanner au diagnostic montrant un volumineuse masse tumorale tissulaire avec une composante nécrotique médio-rénale et polaire inferiéure gauche de 77x61x75 mm
Figure 2: scanner au diagnostic montrant une dilatation des cavités calicielles avec infiltration
de la graisse péri-rénale gauche et adénomegalie nécrotique au niveau du hile rénale gauche
Figure 3: apparence microscopique de l´échantillon de biopsie tumorale
montrant un carcinome à cellules rénales à cellules claires
Figure 4: étude immuno-histochimique: A) marquage au PAX2; B) marquage CD10; C) marquage cytokératine AE1/AE3; D) marquage cytokératine
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