Association fasciite de Shulman, thyroïdite auto-immune et syndrome de Gougerot Sjögre : à propos d´un cas
Sara Elloudi, Hanane Baybay, Zakia Douhi, Fatima Zohra Mernissi
Corresponding author: Sara Elloudi, Service de Dermatologie-Vénérologie, Centre Hospitalier Universitaire Hassan II, Route Sidi Hrazem, Fès, Maroc
Received: 20 Dec 2020 - Accepted: 14 Apr 2021 - Published: 19 Apr 2021
Domain: Dermatology
Keywords: fasciite de Shulman, fasciite avec éosinophilie, morphée bulleuse, syndrome de Gougerot-Sjögren, thyroïdite autoimmune
©Sara Elloudi et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Sara Elloudi et al. Association fasciite de Shulman, thyroïdite auto-immune et syndrome de Gougerot Sjögre : à propos d´un cas. PAMJ Clinical Medicine. 2021;5:84. [doi: 10.11604/pamj-cm.2021.5.84.27520]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/5/84/full
Case report
Association fasciite de Shulman, thyroïdite auto-immune et syndrome de Gougerot Sjögre : à propos d´un cas
Association fasciite de Shulman, thyroïdite auto-immune et syndrome de Gougerot Sjögre : à propos d´un cas
Relationship between Shulman´s fasciitis, autoimmune thyroiditis and Gougerot- Sjögren´s syndrome: case report
Sara Elloudi1,&, Hanane Baybay1, Zakia Douhi1, Fatima Zohra Mernissi1
&Auteur correspondant
Le syndrome de Shulman ou fasciite avec éosinophilie, est une maladie rare d'origine inconnue, aux limites imprécises avec la sclérodermie localisée, caractérisée par un gonflement et une induration des membres avec hyperéosinophilie sanguine. Nous rapportons un cas original par sa présentation clinique sous forme de morphée bulleuse, associé à une thyroïdite auto-immune et un syndrome de Gougerot-Sjögren. Le diagnostic repose sur la biopsie cutanéo-musculaire et le traitement par la corticothérapie. L'évolution est le plus souvent favorable bien que parfois la récupération soit incomplète.
Shulman´s syndrome or eosinophilic fasciitis is a rare disease of unknown origin, similar to localized scleroderma and characterized by swelling and induration of the limbs with blood eosinophilia. We here report an unusual clinical case of bullous Morphea associated with autoimmune thyroiditis and Gougerot-Sjögren´s syndrome. Diagnosis was based on cutaneo-muscle biopsy and treatment on corticosteroid therapy. Outcome is most often favorable although sometimes recovery is incomplete.
Key words: Shulman´s fasciitis; eosinophilic fasciitis, bullous Morphea, Gougerot- Sjögren´s syndrome, autoimmune thyroiditis
La fasciite à éosinophile (FE) ou le syndrome (sd) de Shulman est une maladie rare dont le cadre nosologique n´est pas clairement défini. Il s´agit d´un tableau très caractéristique débutant par un œdème douloureux et symétrique des membres avec une induration progressive et un épaississement de la peau et du tissu mou, associant une hyperéosinophilie sanguine périphérique et un sd inflammatoire. Le sd de Shulman peut être isolé, ou associé à des anomalies hématologiques [1], ou certaines maladies auto-immunes [2]. Nous rapportons un cas original par sa présentation clinique sous forme de morphée bulleuse, associé à une thyroïdite auto-immune et un sd de Gougerot-Sjögren.
Une patiente de 62 ans, ayant comme antécédents une thyroïdite auto-immune depuis 25 ans, référée dans notre service pour bilan étiologique d´une sclérose cutanée, débutant 10 mois auparavant, par l´installation progressive d´un œdème des membres inférieurs qui s´est généralisé au niveau de tout le corps sans signes de gravité. Un bilan biologique a été réalisé lors de cette poussée, la numération formule sanguine révélait une hyperéosinophilie à 4000 éléments/mm³, la vitesse de sédimentation était élevée à 60mm à la 1re heure et 120mm à la 2e heure, la protéine C réactive (CRP) était à 75mg/L. L´œdème avait régressé de façon spontanée, et après une rémission qui a duré 6 mois, la patiente a réinstallé un œdème blanc des jambes, surmonté de bulles à contenu clair laissant places à des érosions puis ulcérations au niveau des faces d´extension des jambes, et après la régression de l´œdème, la patiente a constaté une induration de sa peau avec sensation de constriction des membres. Par ailleurs, la patiente rapportait une sècheresse buccale et oculaire, une dépilation axillaire et pubienne, une hyposudation, et une dyspnée stade II de la classification de New York Heart Association (NYHA). L´examen clinique objectivait une peau sclérosée au niveau des jambes (Figure 1) et avant-bras, indurée au niveau des bras et basithoracique antérieure (Figure 2), des bulles et ulcérations ovalaires et arrondies reposant sur une peau sclérosée au niveau des jambes et faces externes des chevilles (Figure 3).
Le bilan biologique au cours de l´hospitalisation montrait une anémie inflammatoire, une normalisation de l´hyperéosinophilie sanguine, une légère régression du syndrome inflammatoire. Les anticorps antinucléaires (AAN) était positifs à 1/160 d´aspect moucheté. Les AC anti SC70 et anti centromères ainsi que la sérologie borélienne étaient négatives, les AC anti SSA et anti SSB étaient positives. Les AC anti peroxydase et anti thyroglobuline étaient élevés, la TSHus, T3 et T4 étaient normales. La kaliémie était diminuée à 2,8 mmol/l. La biopsie des glandes salivaires objectivait une scialadénite chronique grade III du score de Chisholm et Mason compatible avec un syndrome de Gougerot-Sjögren. L´imagerie par résonnance magnétique (IRM) musculaire objectivait un épaississement du fascia superficiel périmusculaire des deux jambes, réhaussé modérément par le produit de contraste (Figure 4), un petit foyer lésionnel en hypersignal en T2 des fibres musculaire du tibial antérieur (Figure 5). Au terme de ces éléments clinico-biologiques et radiologiques, le diagnostic de fasciite de Shulman associé à une morphée bulleuse était évoqué. La biopsie cutanéomusculaire et des fascias profonds au niveau du jambier antérieur droit a confirmé le diagnostic en objectivant un épiderme aminci et rectiligne, l´interface dermo-épidermique est peu modifié. Le derme est scléreux et ponctué de nombreux polynucléaires éosinophiles à disposition essentiellement périvasculaire. Les fragments musculo-adipeux et du fascia examinés étaient infiltrés par des cellules lymphocytaires et plasmocytaires parfois folliculaires dissociant les différentes structures examinées (Figure 6). La patiente était mise sous prednisone orale à raison de 0,5mg/kg/jr et sous colchicine à raison de 1mg/jr. Une régression presque totale de l´infiltration et cicatrisation des ulcérations était notée au bout d´un mois (Figure 7). La peau est devenue de plus en plus souple sans nouvelle poussée avec un recul de 18 mois.
La fasciite à éosinophile est un syndrome rare pouvant survenir à tout âge, principalement chez l´adulte de la quarantaine. C´est un tableau clinique très caractéristique subaigu survenant en période automnale ou hivernale après un effort physique intense ou un traumatisme, ce qui n´a pas été retrouvé chez notre patiente. Le tableau clinique se manifeste par un œdème douloureux des quatre membres pouvant toucher même les mains, les pieds et le tronc donnant un aspect brillant à la peau. Puis s´installe un épaississement progressif de la peau et du tissu sous cutané aboutissant à un aspect de peau d´orange et à une induration des tissus. Et avec parfois aux membres supérieurs les trajets veineux s´inscrivent en creux au lieu d´être en relief (signe de canyon). Une hyperéosinophilie est présente dans 63 à 93% des patients associé à une hypergammaglobulinémie [3] et un syndrome inflammatoire. La biopsie est fondamentale, elle doit être en bloc comportant ainsi la peau, le tissu sous cutané, le fascia et le muscle. Elle révèle en dessous d´un derme normal une infiltration lymphoplasmocytaire du fascia superficiel qui se trouve considérablement épaissi, tandis que les éosinophiles n´y sont qu´inconstamment retrouvés. A un stade avancé, le muscle peut être affecté avec de nombreux foyers de nécrose [4]. Il faut souligner l´importance de la normalité de l´épiderme et du derme car elle seule permet de distinguer la fasciite de Shulman d´une morphée [5]. En effet, environ un tiers des cas de FE seraient associés à des morphées [6]. En cas d´association, la morphée peut révéler la FE ou apparaître après [6]. Certains ont même suggéré que la FE pourrait être une variante profonde de morphée [7]. Les signes anatomo-clinique et biologiques chez notre patiente étaient compatibles avec un sd de shulman, mais les anomalies épidermo-dermiques ainsi que la présence de bulle au niveau des faces antérieures des jambes s´apparentent fortement à une morphée bulleuse. Ceci peut faire discuter une forme de chevauchement et de transition entre ces deux entités bien distinctes. L´IRM est un outil de choix suspectant fortement le diagnostic en objectivant un épaississement du fascia avec hypersignal en pondération T2 ou suéquence d´inversion récupération (STIR), ainsi qu´une prise de contraste après injection du gadolinium. Elle permet ainsi de guider la biopsie pour avoir une confirmation diagnostic, de déterminer les signes d´activité de la maladie, d´évaluer le pronostic et l´évolution ultérieure après traitement [8].
Du fait de la rareté de la maladie, le traitement n´est pas bien codifié. Toutefois, les cortico-stéroïdes oraux demeurent le principal traitement et peuvent être associés à un médicament immunosuppresseur tels que le méthotrexate chez les patients atteints de lésions de morphée qui semblent avoir un mauvais pronostic [9]. D´autres thérapeutiques ont été occasionnellement utilisées avec succès [10] : ciclosporine, infliximab, hydroxychloroquine, ibuprofène. Le pronostic de la fasciite de Shulman est bon, l´évolution pourrait être favorable spontanément en l´abscence de tout traitement. Sous corticothérapie, l´évolution habituelle se fait sans séquelle. Néaumoins, on peut constater une régression incomplète de l´épaississement du fascia ainsi qu´une rétraction résiduelle modérée [5]. Des formes cortico-résistantes ont été signalées. La présence de morphée au cours de la FE serait un facteur de mauvais pronostic (mauvaise réponse au traitement) [11], et pourrait être un facteur de risque d´une fibrose résiduelle [12]. Cependant, notre patiente s´est bien améliorée sous corticothérapie orale associée à la colchicine. La peau est devenue souple sans récidive de lésions bulleuses avec un recul de 18 mois. De rares perturbations cytopéniantes ont étés décrites [13] pouvant aller jusqu´au décès, justifiant ainsi une surveillance hématologique régulière. Les données actuelles ne permettent pas de comprendre clairement la physiopathologie de la fasciite de Shulman, elle est plutôt multifactorielle, mettant en jeu des facteurs génétiques, environnementaux et cytokiniques. Le dérèglement auto-immun est l´hypothèse la plus acceptée actuellement. D´ailleurs, plusieurs maladies systémiques et auto-immunes ont été rapportées, associées à cette affection, tel que le diabéte type 1 [14], la sarcoïdose [15], le vitiligo [2] et l´anémie hémolytique auto-immune [16].
L´association d´une thyroïdite d´Hashimoto et un syndrome de Gougerot-Sjögren chez notre patiente illustre à nouveau l´intrication de la fasciite de Shulman avec les autres maladies auto-immunes. La présence des lésions de morphée bulleuse associées, appuie l´hypothèse considérant la fasciite de Shulman comme étant une variante profonde de morphée.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts.
Tous les auteurs ont contribué à ce travail et ont lu et approuvé la version finale de ce manuscrit.
Figure 1: peau sclérosée et luisante des jambes surmontée d´ulcération ovalaire
Figure 2: peau indurée des bras et basithoracique
Figure 3: bulles à contenu clair et ulcération ovalaire sur une peau sclérosée de la jambe droite
Figure 4: imagerie par résonnance magnétique (IRM) des jambes montrant un épaississement du fascia superficiel périmusculaire des deux jambes, réhaussé modérément par le produit de contraste
Figure
5: petit foyer lésionnel en hypersignal en T2 des fibres musculaires du tibia antérieur objectivé à l´IRM
Figure
6: image histologique : coloration HES G x 20 d´une biopsie cutanéo-musculaire et des fascias au niveau du jambier antérieur droit : un épiderme aminci et rectiligne. Le derme est scléreux et ponctué de nombreux polynucléaires éosinophiles à disposition essentiellement périvasculaire. Les fragments musculo-adipeux et du fascia examinés étaient infiltrés par des cellules lymphocytaires et plasmocytaires
Figure 7: régression de l´infiltration et cicatrisation des ulcérations, avec amélioration de l´induration de la peau après début de traitement
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