Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn : expérience d´un centre hospitalier universitaire marocain
Khadija Krati, Yassine Lemfadli, Adil Ait Errami, Sofia Oubaha, Zouhour Samlani
Corresponding author: Yassine Lemfadli, Service de Gastro-entérologie, Centre Hospitalier Mohamed VI, Marrakech, Maroc
Received: 12 Aug 2021 - Accepted: 24 Sep 2021 - Published: 06 Oct 2021
Domain: Gastroenterology,Internal medicine,Proctology
Keywords: Lésions anopérinéales, maladie de Crohn, anti TNF
©Khadija Krati et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Khadija Krati et al. Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn : expérience d´un centre hospitalier universitaire marocain. PAMJ Clinical Medicine. 2021;7:4. [doi: 10.11604/pamj-cm.2021.7.4.31217]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/7/4/full
Case series
Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn : expérience d´un centre hospitalier universitaire marocain
Prise en charge des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn : expérience d'un centre hospitalier universitaire marocain
Management of anoperineal lesions in patients with Crohn’s disease: experience in a Moroccan University Hospital
Khadija Krati1, Yassine Lemfadli1,&, Adil Ait Errami1, Sofia Oubaha2, Zouhour Samlani1
&Auteur correspondant
Les lésions ano-périnéales (LAP) au cours de la maladie de Crohn (MC) représentent l´ensemble des lésions attribuées à la maladie de Crohn qui touchent le canal anal, la peau du périnée, le bas-rectum et la cloison recto-vaginale. Elles se présentent sous différentes formes cliniques, pouvant parfois s´associer les unes aux autres. L´objectif de notre étude est d´étudier les aspects épidémiologiques, l´expression clinique et le profil évolutif des LAP chez les malades souffrant de la maladie de Crohn au service d´hépato-gastro-entérologie du centre hospitalier Mohamed VI de Marrakech. C´est une étude rétrospective de 50 cas de LAP colligés au Service d´Hépato-gastro-entérologie du Centre Hospitalier Mohamed VI de Marrakech, durant une période de 15 ans et demi, s´étalant de juin 2004 à décembre 2019. Les LAP hors maladie de Crohn ont été exclus. Cinquante (50) cas de LAP de la MC ont été colligés. Il s´agissait de 26 hommes et de 24 femmes. L´âge moyen au diagnostic était de 32 ans (13-58 ans). Des antécédents personnels ont été retrouvés chez nos patients, dominés par : une chirurgie proctologique chez 20% des patients et une notion de tabagisme chez 18% des patients. Les principales LAP étaient : les fistules (n = 38), les fissures (n = 18), les abcès (n = 12). Les principaux signes cliniques étaient : l´écoulement purulent (n = 21), les proctalgies (n = 18), les douleurs abdominales (n = 29), la diarrhée (n = 37). Quarente-et-un (41) patients présentaient une atteinte intestinale : grêlique (n=2), iléo-caecale (n = 31) et colique (n = 8). Des manifestations extra-digestives étaient présentes chez 14 patients. Selon la classification de Cardiff, 50% des patients étaient classés en U1a, 9% en U1b, 32% en F1a, 16% en F1b, 6% en F2d, 18% en F2e, 2% en S1c, 2% en S2a et 2% en S2b. L´Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) pelvienne a montré : des trajets fistuleux (n = 22), une collection (n = 8), un épaississement du carrefour iléo-caecal (n = 8), l´infiltration de la graisse de voisinage (n = 8), un abcès (n = 2), une sténose (n = 1) et une sclérolipomatose (n = 1). Tous les patients (n = 50) ont été mis sous traitement de fond, à base d´anti-TNF (n = 16), d´immunosuppresseurs (n = 25), d´aminosalicylés (n = 2), de méthotrexate (n = 1), ou une combothérapie (n = 5). Certains patients (n = 25) ont nécessité un traitement chirurgical. L´évolution a été marquée par une bonne reprise du transit (n = 40), une persistance des signes cliniques (n = 10), une persistance des signes extra-digestifs (n = 5). Trois (3) patients ont été perdus de vue. Les lésions ano-périnéales de la maladie de Crohn sont fréquentes et grèvent le pronostic de la maladie. Elles nécessitent une prise en charge spécifique avec un traitement médico-chirurgical visant à éviter les complications, améliorer le résultat fonctionnel et la qualité de vie.
Crohn’s disease is commonly complicated by anoperineal lesions (APLs) affecting the anal canal, the skin of the perineum, the lower rectum and the rectovaginal septum. There are various types of anoperineal lesions which sometimes can occur within the same patient. The purpose of this study is to analyze the epidemiological, clinical and evolutionary features of APLs in patients suffering from Crohn’s disease in the Department of Hepatogastroenterology at the Hospital Center Mohammed VI in Marrakech. We conducted a retrospective study of 50 patients with APLs whose data were collected in the Department of Hepatogastroenterology at the Hospital Center Mohammed VI in Marrakech over a period of 15 and a half years, from June 2004 to December 2019. Patients with APLs who didn’t suffer from Crohn’s disease were excluded. Data were collected from fifty cases: 26 men and 24 women. The average age of patients at the time of diagnosis was 32 years (13- 58 years). Patients had a personal history of proctologic surgery (20%) and smoking (18%). APLs mainly included fistulas (n=38), fissures (n=18), abscesses (n=12). The main clinical signs included: purulent discharge (n=21), proctalgia (n=18), abdominal pain (n=29), diarrhea (n=37); 41 patients had small intestine (n=2), ileocaecal (n=31), and colonic (n=8) involvement. Extra-intestinal manifestations were found in 14 patients. According to Cardiff classification, 50% of patients were classified as U1a, 9% as U1b, 32% as F1a, 16% as F1b, 6% as F2d, 18% as F2e, 2% as S1c, 2% as S2a and 2% as S2B. Pelvic MRI showed fistulous tracts (n=22), collection of fluid (n=8), ileocecal junction thickening (n=8), adjacent fat infiltration (n=8), abscess (n=2), stenosis (n=1) and sclerolipomatosis (n=1). All patients (n=50) received a thorough treatment based on anti-TNF therapy (n=16), immunosuppressants (n=25), aminosalicylates (n=2), methotrexate (n=1) or combination therapy (n=5). Some patients (n=25) underwent surgical treatment. Patients had favorable outcome with resumption of intestinal transit (n=40), persistence of clinical signs (n=10), persistence of extra-intestinal signs (n=5). Three patients were lost to follow-up. Anoperineal lesions are common in patients with Crohn’s disease in whom they impact the prognosis. These patients require specific management based on medical and surgical treatments to avoid complications, improve functional outcome and quality of life.
Key words: Anoperineal lesions, Crohn’s disease, anti TNF
Les lésions anopérinéales (LAP) de la maladie de Crohn sont l´ensemble des lésions attribuées à la maladie de Crohn qui touchent le canal anal, la peau du périnée, le bas-rectum et la cloison recto-vaginale. La survenue de ces lésions méritent une attention particulière parce qu´elles constituent un élément de pronostic défavorable de l´histoire naturelle de la maladie. L´objectif de cette étude est d´explorer les particularités des lésions anopérinéales de la maladie de Crohn dans notre contexte.
Cadre de l´étude : l´étude a été réalisée au service de gastro-entérologie du Centre Hospitalier Universitaire Mohamed VI de Marrakech.
Type de l´étude : nous avons réalisé une étude rétrospective descriptive, incluant 50 cas de lésions anopérinéales et ce durant une période de 15 ans et demi, allant de juin 2004 à décembre 2019.
Les patients inclus : nous avons inclus tous les patients présentant des LAP reliées à la maladie de Crohn, ayant été hospitalisés au Service de Gastro-entérologie du Centre Hhospitalier Universitaire Mohamed VI, dont le diagnostic a été retenu sur un faisceau d´arguments cliniques, endoscopiques, histologiques et radiologiques.
Les patients exclus : nous avons exclu les patients présentant des LAP hors maladie de Crohn, et les patients porteurs de LAP crohniennes perdus de vue.
Classification des lésions ano-périnéales : les LAP ont été classées selon la classification de Cardiff.
Recueil des données et analyses statistiques : le recueil des données a été fait à travers les dossiers des patients et ce sur une fiche d´exploitation. Nous avons utilisé le logiciel Microsoft Excel 2016 pour l´analyse statistique des données. Ces dernières ont été converties en pourcentage, en moyenne ou en médiane.
Approbation éthique : le consentement éclairé verbal des patients a été obtenu avant de les inscrire à l'étude. Aucune approbation éthique n'a été demandée pour l'analyse de l'ensemble des données car il ne contient aucune information personnellement identifiable.
Caractéristiques épidémiologiques des patients : l´âge moyen de nos patients était de 32 ans (13-58 ans) avec une légère prédominance masculine.
Antécédents des patients : nous retrouvons la notion de chirurgie proctologique chez 10 patients soit 20% de notre population ; suivie par le tabagisme présent chez 18% de nos patients, et puis l´appendicectomie retrouvée dans 16% des cas. Les caractéristiques des patients sont résumées dans le Tableau 1.
Délai de diagnostic : la moitié (50%) de nos patients présentait déjà une maladie de Crohn diagnostiquée avant l´apparition des LAP. Cinq patients ont vu les LAP apparaître au cours de la même année que le diagnostic de la maladie de Crohn. Chez les 20 patients restants, le délai moyen d´apparition des LAP était de 5,23 ans. Chez 21 patients, soit dans 42% des cas, le diagnostic de LAP a précédé le diagnostic de MC. Chez 8% de nos patients, les deux diagnostics ont étés faits de façon concomitante.
Type de lésions ano-périnéales : les fistules anales prédominaient les LAP retrouvées dans notre série avec 76% des cas, suivis par des fissures anales dans 36% des cas et les abcès dans 24% des cas (Figure 1, Figure 2).
Les manifestations cliniques : la symptomatologie proctologique était prédominée par les proctalgies chez 36% des cas, un écoulement purulent chez 42% des cas. Les douleurs abdominales étaient présentes chez 29 patients soit 58% des cas, et des diarrhées chez 37 patients soit 74% des cas. Les manifestations extra-digestives étaient présentes chez 14 patients. Une symptomatologie articulaire a été noté dans 12 cas, oculaire (baisse de l´acuité visuelle) dans 4 cas et cutanée (érythème noueux) dans 2 cas.
L´endoscopie : une coloscopie a été faite chez 45 de nos patients et a mis en évidence des ulcérations chez 20 patients, des pseudo-polypes chez 17 patients et un aspect érythémateux de la muqueuse chez 19 patients.
L´histologie : les données histologiques ont montré une inflammation chronique avec un granulome épithélio-giganto-cellulaire sans nécrose caséeuse chez 17 patients.
Classification des lésions ano-périnéales : nous avons utilisé le score de Cardiff afin de classer les lésions anopérinéales. Ving-cinq (25) patients avaient des ulcérations soit 50% des cas. Les fistules anales étaient présentes chez 36 patients soit un taux de 72% des cas (Figure 3).
Dans notre étude, l´atteinte luminale était grêlique chez 2 patients, iléo-caecale chez 31 patients, colique chez 8 patients et elle était absente chez 9 patients. On a remarqué la nette prédominance du phénotype ulcérant, retrouvé chez 25 patients, soit 50% des cas. Suivi de la combinaison des phénotypes sténosant et ulcérant retrouvée chez 10 patients, soit 20% des cas. Le phénotype sténosant a été retrouvé chez 9 patients, soit 18% des cas. Le phénotype le moins représenté était le phénotype inflammatoire avec seulement 6 patients, soit 12% des cas.
Le traitement : les Anti-TNF ont été prescrits chez 16 de nos patients (32% des cas). L´Infliximab a été prescrit chez 8 patients, l´Adalimumab chez 5 patients et en relais à l´Infliximab suite à une rupture de stock chez 3 patients. Les immunosuppresseurs ont été prescrits chez 25 patients (50% des cas). L´Azathioprine a été prescrite chez 17 patients et chez 6 la mercaptopurine a remplacé l´Azathioprine, chez 8 patients, suite à une mauvaise tolérance digestive ou hématologique. La combothérapie, faite de l´association d´un immunosuppresseur à l´Infliximab, a été démarrée chez 5 patients (10% des cas). Des amino-salicylés ont été prescrits seuls chez 2 patients, et en association aux immunosuppresseurs chez 9 patients (18% des cas). Un patient a été mis sous Méthotrexate.
Parmi nos patients, 25 ont bénéficié d´une intervention chirurgicale lors de leur prise en charge, quatre (4) ont bénéficié d´une adhésiolyse, huit (8) patients ont eu une résection iléo-caecale avec anastomose, 14 patients ont bénéficié d´une fistulectomie. Huit (8) patients ont subi un drainage avec mise en place de sétons de drainage, 2 patients ont bénéficié de dilatations aux bougies. Un patient a bénéficié d´une colectomie et un autre a bénéficié d´une colostomie de propreté.
L´évolution : l´évolution post-thérapeutique a pu être précisée pour 47 malades. Alors que 3 malades étaient perdus de vue. Quatre vingt pourcent (80%) des cas, soit 40 patients, ont pu retrouver un transit intestinal normal avec une fréquence de selles de 1-2 par jour. Sept (7) patients avaient toujours une diarrhée avec 3-4 selles par jour. Un syndrome de Koenig persistait chez 2 patients, ainsi qu´un syndrome rectal. La persistance d´un écoulement purulent a été notée chez un patient. Cinq (5) patients sur 14, soit 10% des cas, gardaient des manifestations extra-digestives à type d´arthralgies.
La maladie de Crohn (MC) est une maladie inflammatoire chronique qui peut toucher n'importe quelle partie du tractus gastro-intestinal, de la cavité buccale à l'anus. La prévalence des Lésions ano-périnéales dans la maladie de Crohn est sujette à de grandes variations dans la littérature. Elle oscille entre 21% et 80% selon les séries [1]. Ceci pourrait être dû au fait qu´elles soient souvent mal définies. Aux Etats-Unis, les LAP toucheraient un patient souffrant de maladie de Crohn sur trois, atteignant ainsi 238 cas par 100 000 adultes [2]. Lors d´une étude de cohorte néo-zélandaise basée sur la population de Canterburry, 26,6% de l´échantillon présentait des LAP [3]. Une équipe portugaise, menant une étude rétrospective, a démontré que 23,9% de ses patients souffrant de MC présentaient des LAP [4]. Au Maroc, la prévalence des LAP serait de l´ordre de 24% [5].
Les LAP peuvent être cliniquement inaugurales et amener à la découverte de lésions intestinales, ou précéder de plusieurs années les autres localisations de la maladie et donc apparaître isolées. Une récente étude de cohorte a retrouvé 36,5% de porteurs de LAP au moment du diagnostic [6]. Il existe une large variété de manifestations anopérinéales chez les patients atteints de MC. Certaines sont spécifiques à la MC telles que les ulcérations, les fissures, les abcès, les fistules et les sténoses. D´autres LAP peuvent être rencontrées mais sont non spécifiques, telles que les pseudo-marisques, la dermite péri-anale, les pseudo-fissures, et les hémorroïdes. Elles sont essentiellement dues à la diarrhée et à la macération qui en découle. Selon leur physiopathologie, les LAP sont classées en lésions primaires et secondaires. Les lésions primaires regroupent les lésions inflammatoires à type de pseudo-marisques inflammatoires, fissures, ulcérations et lésions cutanées granulomateuses. Elles sont le reflet de l´activité de la MC et constituent les 2/3 de l´ensemble des LAP [7]. Les lésions secondaires regroupent les abcès et les fistules anales qui sont la conséquence de l´infection des lésions primaires. Elles sont favorisées par les poussées inflammatoires de la MC. Elles peuvent évoluer pour leur propre compte indépendamment des lésions luminales.
Les LAP sont souvent asymptomatiques. Elles peuvent être révélées à l´occasion d´un signe clinique à type de fièvre, de douleur ou de tuméfaction périanale, de rectorragies ou de suintement, de prurit ou d´incontinence. L´examen clinique reste le moyen le plus performant. Il demande une bonne expérience et peut nécessiter une anesthésie pour bien apprécier les lésions. L´examen sous anesthésie générale est considéré comme le « gold standard » dans la prise en charge des LAP. Il est doté d´une sensibilité de 90% pour la détection et la classification des LAP [8]. Il requiert un niveau certain d´expertise, à la fois dans le domaine de la chirurgie ano-rectale, et dans celui de la prise en charge de la maladie de Crohn anopérinéale.
L´exploration radiologique des lésions anopérinéales de la MC peut compléter les données fournies par l´évaluation clinique, l´examen physique et l´endoscopie rectale. L´imagerie par résonance magnétique (IRM), au mieux avec sonde endorectale, est sans doute le meilleur examen pour la détection et le bilan des fistules et abcès. D´un point de vue anatomique, c´est un examen très performant ayant une précision estimée entre 76 et 100% [7]. En cas de suppurations ou de sténoses, la majorité des auteurs recommandent la réalisation d´une imagerie pelvienne, en privilégiant l´IRM périnéale tridimensionnelle en coupe fines de 3 à 5 mm [9]. Dans le cadre d´un bilan pré-thérapeutique, l´IRM s´attache à fournir un inventaire anatomique précis des lésions suppurées ainsi que la topographie des trajets fistuleux. Elle localise les orifices primaires ainsi que les orifices secondaires, et évalue l´activité de la fistule. Elle permet aussi de localiser d´éventuelles collections abcédées et leurs mensurations, et recherche une éventuelle extension pelvienne à distance.
Aucune classification des LAP n´a été validée à grandes échelles et n´a montré sa reproductibilité en pratique quotidienne. Toutefois, il parait que seule la classification de Cardiff permettrait une description standardisée, simplifiée et précise de ces lésions. Cette classification, individualise trois lésions élémentaires : les ulcérations, les fistules et les sténoses. Les LAP sont une entité complexe de la MC, dont la prise en charge nécessite une approche multidisciplinaire. L´objectif thérapeutique majeur est d´améliorer la qualité de vie des patients. Le traitement médical fait appel à une hygiène périnéale soigneuse, aux bains de siège à l´eau tiède et au contrôle de la diarrhée qui peut réduire les lésions consécutives aux macérations. Les antibiotiques à base de Métronidazole et Ciprofloxacine sont efficaces sur les symptômes notamment la diminution de l´écoulement et de la douleur. Il n´y a eu aucune étude clinique randomisée ayant étudié l´efficacité des thiopurines dans le traitement des fistules périanales de la MC. Malgré l´absence d´essais cliniques contrôlés, l´ECCO recommande, comme traitement de première ligne, l´utilisation d´antibiotiques lors du drainage chirurgical, en association aux thiopurines comme traitement d´entretien [10]. Alors que l´AGA suggère leur utilisation dans l´entretien plutôt que dans l´induction thérapeutique [11].
L´utilisation du méthotrexate en seconde intention peut être efficace pour la fermeture des trajets fistuleux dans la MC, mais elle n´est pas très bien codifiée en raison du manque d´études menées à ce sujet. Les anti-TNF-alpha constituent, à l´heure actuelle, le traitement de référence des LAP. Ils sont les seuls à avoir démontré clairement leur efficacité dans des essais contrôlés. Trois molécules ont été évaluées (l´Infliximab, l´Adalimumab et le Certolizumab). L´infliximab est le premier agent ayant prouvé son efficacité en essais contrôlés randomisés pour la fermeture des trajets fistuleux et le maintien de la réponse à 12 mois. Dans l´essai princeps ACCENT 1, le meilleur résultat clinique était obtenu avec la dose de 5 mg/kg à S0, S2 et S6. Après trois mois de traitement, une fermeture complète des fistules était observée chez 55% des patients, comparativement à 13% dans le groupe placebo [12]. L´étude ACCENT 2 a confirmé par la suite la réponse à l´induction (69% à S14), avec une réduction de l´écoulement à S54 dans 36% vs 9%, et une baisse du taux de chirurgie et d´hospitalisation. Les répondeurs étaient randomisés pour recevoir l´infliximab à dose de 5 mg/kg ou le placebo toutes les huit semaines. À un an, 36% des patients ayant reçu l´Infliximab maintenaient la réponse, contre 19% dans le groupe placebo [13]. Par ailleurs, le recours à un traitement d´entretien par infliximab permet de diminuer le recours à l´hospitalisation et à la chirurgie chez les patients atteints de maladie de Crohn anopérinéale fistulisante [5].
L´efficacité de l´Adalimumab lors du traitement des LAP fistulisantes de la MC est bien établie. Une étude récente a été menée sur 117 patients porteurs de fistules actives, qui ont été randomisés pour recevoir l´Adalimumab contre le placebo pendant une année après l´induction par Adalimumab. Le taux de rémission des fistules était plus élevé chez le groupe Adalimumab, et était de 33% versus 13% pour le placebo [14]. L´essai multicentrique en phase IIIb CHOICE avait pour objectif d´évaluer l´efficacité et l´innocuité de l´Adalimumab chez les patients atteints de MC modérée à sévère en échec ou en perte de réponse à l´infliximab, incluant 83 patients avec une fistule périanale active. Environ 40% des patients ont présenté une guérison complète de la fistule. L´Adalimumab se présente donc comme une alternative intéressante chez les patients présentant un échec ou une intolérance à l´infliximab [15].
Le Certolizumab Pegol a été évalué dans la MC périanale via des essais cliniques contrôlés prospectifs (PRECISE 1 et 2). Dans l´étude PRECISE 2, l´analyse du sous-groupe portant des fistules actives, a montré un taux de fermeture de 36% versus 17% dans le groupe placebo, malgré le fait que cette différence ne soit pas statistiquement significative [16]. L´intérêt de la combothérapie, associant un immunosuppresseur et anti-TNF, dans le traitement de la MC réside dans la diminution de l´immunogénicité des bio-médicaments, renforçant ainsi leur efficacité. L´association infliximab-thiopurines semble la plus judicieuse mais la plus sujette aux effets iatrogènes à type de lymphomes ou de cancers cutanés au long cours. Le Védolizumab est une anti-intégrine qui a montré son efficacité lors de l´induction et du maintien de la rémission dans la MC. L´étude GEMINI II a évalué l´efficacité du Védolizumab sur la fermeture des fistules lors de la MC [17]. Elle a démontré que l´administration de védolizumab à 8 semaines d´intervalle permettait d´obtenir une meilleure fermeture des fistules en comparaison au placebo (41,2% contre 11%). L´étude IM-UNITI menée en 2017 a démontré l´efficacité de l´ustekinumab sur les fistules périanales [18]. Une fermeture complète des fistules a été notée chez 24.2% des patients contre 14,1% pour le placebo à S8. A S44 de traitement, le taux de fermeture était de 80% contre 45,5%.
La localisation périnéale de la maladie de Crohn nécessitera souvent un traitement chirurgical. Il est parfois nécessaire dans les fistules simples, mais s´impose toujours devant une maladie périnéale complexe. L´arsenal chirurgical va du simple drainage d´une collection abcédée ou d´une fistule, aux dérivations du flux fécal par la confection de stomies. La combinaison entre drainage par séton et immuno-modulation par anti TNF semble avoir de meilleurs résultats avec un faible taux de récidive [19]. Le traitement par dilatation, par doigt ou par bougies, est proposé en première intention en cas de sténoses anorectales.
Limites de l´étude : compte tenu de non disponibilité de certains traitements biologiques couteux de la maladie de Crohn dans notre contexte, le choix thérapeutique était limité aux classes thérapeutiques disponibles. D´autre part et en tenant compte de nos méthodes de collecte des données et de la taille de notre échantillon, les résultats peuvent ne pas être généralisés à l'ensemble de la population. Néanmoins, les résultats rapportés pourraient être des cibles pour de futures études.
Les lésions anopérinéales au cours de la maladie de Crohn représentent un tournant majeur dans l´évolution de la maladie. Leurs prise en charge est un vrai challenge pour le gastroentérologue et le chirurgien proctologue d´où l´importance d´une approche multidisciplinaire afin d´améliorer la qualité de vie de ces patients. La thérapie anti-TNF peut être utilisée comme traitement de première ligne de la maladie de Crohn anopérinéale, avec ou sans association au traitement chirurgical. Des études prospectives ayant comme but premier d´étudier les thérapies émergentes sur les lésions anopérinéales restent nécessaires.
Etat des connaissances sur le sujet
- Les lésions anopérinéales de la maladie de Crohn est un tournant majeur dans l´histoire naturelle de cette pathologie qui grève le pronostique du patient.
Contribution de notre étude à la connaissance
- La biothérapie représente actuellement la pierre angulaire de la prise en charge des lésions anaopérinéales de la maladie de Crohn et qui a amélioré considérablement la qualité de vie de ces patients.
Les auteurs de déclarent aucun conflit d´intérêts.
Yassine Lemfadli a collecté les données, a fait la recherche bibliographique et a rédigé le manuscrit, Khadija Krati a collecté les données et a corrigé le manuscrit. Tous les auteurs ont lus et approuvé la version finale du manuscrit.
Tableau 1: caractéristiques des patients
Figure 1: répartition des lésions ano-périnéales
Figure 2: fistule anales : A) sténose anale; B) ulcération périnéale; C) périné polyfistu
Figure 3: répartition des lésions anopérinéales selon Cardiff
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