Une cause innatendue de la maladie oubliee!! à propos d´un cas
Azzam Imane, Zahra Sayad, Omar Laassikri, Sophia Nitassi, Razika Bencheikh, Mohammed Anas Benbouzid, Abdelilah Oujilal, Malik Boulaadas, Leila Essakalli Hossyni
Corresponding author: Azzam Imane, Service ORL-CCF Centre Hospitalier Universitaire Rabat, Rabat, Maroc
Received: 29 Apr 2020 - Accepted: 27 Jun 2020 - Published: 15 Sep 2020
Domain: Otolaryngology (ENT)
Keywords: Syndrome de lemierre, carcinome épidermoïde, antibiothérapie
©Azzam Imane et al. PAMJ Clinical Medicine (ISSN: 2707-2797). This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution International 4.0 License (https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
Cite this article: Azzam Imane et al. Une cause innatendue de la maladie oubliee!! à propos d´un cas. PAMJ Clinical Medicine. 2020;4:21. [doi: 10.11604/pamj-cm.2020.4.21.23148]
Available online at: https://www.clinical-medicine.panafrican-med-journal.com//content/article/4/21/full
Une cause inattendue de la maladie oubliée : à propos d'un cas
An unexpected cause of "forgotten disease": case report
Azzam Imane1,&, Zahra Sayad2,, Omar Laassikri1, Sophia Nitassi1, Razika Bencheikh1, Mohammed Anas Benbouzid1, Abdelilah Oujilal1, Malik Boulaadas2, Leila Essakalli Hossyni1
&Auteur correspondant
Le syndrome de Lemierre « SL » est une maladie rare qui prend son origine très souvent d´une infection oropharyngée se compliquant d´une thrombose septique de la veine jugulaire interne et d´emboles septiques à prédominance pulmonaire dans sa forme typique. Dans notre cas, le SL n´est qu´un tableau révélateur d´un carcinome épidermoïde de la bouche œsophagienne surinfecté. Tout retard diagnostic ou de prise en charge peut être responsable d´une morbi-mortalité élevée. Son diagnostic repose sur : un faisceau d´arguments cliniques, radiologiques dont la TDM cervico thoracique avec injection du produit de contraste trouve tout son intérêt ainsi que sur des examens bactériologiques surtout dans les formes atypiques. Le traitement est principalement médical basé sur une antibiothérapie ciblée urgente et prolongée, l´anticoagulation reste très discutée cas par cas, et le traitement chirurgical est réservé à des cas bien particuliers.
Lemierre syndrome "LS" is a rare disease that most often results from an oropharyngeal infection which is complicated by Septic thrombosis of the internal jugular vein and predominantlypulmonarysepticemboli in its typical form. In our case, LS revealed an infected squamous cell carcinoma of the mouth of the esopshagu. Any delay in diagnosis or management may cause a high morbidity and or mortality rates. Its diagnosis is based on a cluster of clinical, radiological arguments whose thoracic cervico CT with injection of the contrast product finds all its interest as well as on bacteriological examinations especially in atypical forms. Treatment is primarily medical based on urgent and prolonged targeted antibiotic therapy. Anticoagulation as a treatment remains disputed under the medical community on a case-by-case basis, and surgical treatment is reserved for specific cases.
Key words: Lemierre syndrome, squamous cell carcinoma, antibiotictherapy
Le syndrome de Lemierre« SL », nommé également la maladie oubliée est une affection gravissime, rare qui peut engager le pronostic vital si retard de prise en charge adéquate, décrite initialement par, André Lemierre comme étant un état septique grave à Bacillus funduliforme qui prend son origine dans l´oropharynx au niveau des tonsilles amygdaliennes et s´associe à une thrombophlébite septique de la veine jugulaire interne homolatérale et à des emboles septiques périphériques le plus souvent pulmonaires. Nombreuses formes atypiques ont été rapportées par la littérature conduisant à un élargissement de la définition [1,2]. Nous rapportons une observation particulière d´un patient dont le syndrome de Lemierre était révélateur d´une néoplasie sous-jacent.
Un jeune homme issu de l´Afrique subsaharienne, âgé de 26 ans, sans antécédent, était admis au service des urgences pour un syndrome infectieux des VADS (odynophagie, fièvre, frissons, expectorations muco-purulentes) sans notion de contage tuberculeux, ni de voyage récent, le jeune vit au Maroc depuis 2 ans. L´interrogatoire retrouvait une notion de prise d´anti inflammatoire non stéroïdiens suite à un gène pharyngé évoluant depuis plusieurs semaines, résistante à un traitement par amoxicilline-acide clavulanique : 1 g*3/j) instauré par son médecin généraliste. L´examen physique trouvait un patient conscient, en état de sepsis sévère (température : 40°C, fréquence cardiaque : 115/minute, pression artérielle : 90/40 mmHg avant remplissage et une fréquence respiratoire : 20/minute, SatO2 : 96 % en air ambiant). L´auscultation pulmonaire était sans anomalie et l´examen ORL retrouvait une stase salivaire, un oropharynx inflammé, et une halitose ainsi qu´une tuméfaction cervicale diffuse de consistance molle avec une chaleur et une douleur locale ainsi que des poly adénopathies bilatérales cervicales fermes indolores (Figure 1). La biologie objectivait un syndrome inflammatoire biologique avec une protéine C réactive CRP à 367 mg/L, une hyperleucocytose a polynucléose neutrophile >20 000 élément/l. La sérologie VIH était négative, de même que plusieurs séries d´hémocultures. La sérologie HBV était positive avec charge virale indétectable.
Le scanner cervical avec injection de produit de contraste retrouvait une thrombose veineuse jugulaire interne gauche avec obstruction longue complète ainsi qu´une collection cervicale homolatérale diffuse abcédée (Figure 2). Le diagnostic retenu était celui de SL. La probabilité d´une endocardite infectieuse était jugée faible à l´échographie cardiaque. Le patient a bénéficié d´un drainage chirurgical sous anesthésie générale et d´une double antibiothérapie intraveineuse dirigée contre les germes anaérobies par Ceftriaxone (2 g/j) et Métronidazole (500 mg, 3/j) était mise en place initialement, puis relayée Peros par amoxicilline-acide clavulanique (1 g, 3/j) avec poursuite du métronidazole à la même posologie, pendant six semaines, malgré l´absence d´identification bactériologique. Une anticoagulation curative par énoxaparine était instaurée pendant 6 semaines. L´évolution était marquée par la régression de la tuméfaction cervicale (Figure 3, Figure 4), mais devant la persistance d´une odynophagie, une dysphagie aux solides et une haleine fétide une nasofibroscopie a été réalisée à J8 qui a objectivé une stase salivaire importante avec des sécrétions sanglo-purulentes empêchant la visualisation de l´ensemble de la filière pharyngo-laryngée. Le bilan a été complété par une endoscopie digestive haute, une TDM cervico-thoracique de contrôle mettant en évidence une lésion bourgeonnante infranchissable de la bouche œsophagienne (Figure 5), avec des sécrétions sanglo-purulentes et dont la biopsie est revenue en faveur d´un carcinome épidermoïde. Le patient a été adressé en radiochiomiothérapie exclusive avec réalisation d´une jéjunostomie d´alimentation.
Il s´agit d´est une maladie rare, décrite la première fois en 1936 par André Lemierre ; qui associe dans sa forme typique une infection oropharyngée compliquée d´une thrombose septique de la veine jugulaire interne homolatérale et d´emboles septiques à prédominance pulmonaire. Il s´agit d´un état septique grave à Bacillus funduliforme pouvant rapidement engager le pronostic vital [1,2]. Cette définition a été élargie englobant d´autres formes atypiques en fonction du point de départ infectieux, des emboles septiques à distance voir même le réseau vasculaire thrombosé [3]. Cette affection nommée la maladie oubliée dans les années 1960 à 1970, a connu ces deux dernières décennies une recrudescence en rapport avec le mésusage des antibiotiques, une surconsommation d´anti-inflammatoires non stéroïdiens, une augmentation de la population immunodéprimée et une diminution du nombre d´amygdalectomie [4,5]. C´est une pathologie de l´adulte jeune immunocompétent, son incidence entre 2010 et 2014 était de 2,8 cas/million/an dans la population générale, et de 9,4 cas/million/an dans la population des jeunes de 15 à 24 ans. L´atteinte des nourrissons et des enfants n´est pas exceptionnelle [6].
Les personnes âgées immunodéprimées ou porteuses de comorbidités type un diabète ou une cardiopathie, ou encore de mauvais état buccodentaire peuvent être également touchés [4]. Le sexe masculin est le plus touché (sex-ratio : 2/1), sa prévalence augmente surtout en automne ou en hiver [2]. Dans notre cas il s´agit d´un jeune de 26 ans de sexe masculin, avec notion de prise d´AINS et traitement en médecine de ville par une antibiothérapie à large spectre. Malgré son jeune âge, il était dénutri avec une infection HVB associée et un niveau socio-économique très bas en plus d´un mauvais état bucco-dentaire. La symptomatologie clinique est polymorphe selon les localisations septiques (syndrome infectieux isolé, symptomatologie pulmonaire, neurologique, digestive voir même articulaire...); qui survient en moyenne quelques jours à 3 semaines après une infection ORL [7]. L´examen physique permet d´évaluer l´état général pour éliminer une urgence pouvant engager le pronostic vital et de rechercher le point de départ infectieux notamment oropharyngé ainsi qu´une complication locorégionale telle une induration de la veine jugulaire interne, adénopathie, collection [8].
Notre patient a présenté une odynophagie traitée en ambulatoire comme étant une angine, et la symptomatologie clinique à l´admission était dominée par les signes d´un sepsis sévère, ainsi que la cellulite cervicale, les investigations durant son hospitalisation ont revenu plutôt en faveur d´une tumeur surinfectée de la bouche œsophagienne. La biologie peut objectiver en dehors d´un syndrome inflammatoire biologique (une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, une leucopénie, une thrombopénie, augmentation de la CRP et procalcitonine), des signes de défaillance multiviscérale : une insuffisance rénale et/ou hépatique [2 ,3]. Dans notre cas on a noté un syndrome inflammatoire important : CRP à 367 mg/L, hyperleucocytose à polynucléose neutrophile>20 000 éléments/l. Les examens bactériologiques sont des examens clés du diagnostic de SL, surtout dans les formes atypiques [3]. Le principal germe incriminé est le Fusobacterium necrophorum (FN). Il peut être mis en évidence par hémoculture qui reste l´examen de référence, à partir des liquides biologiques, ou encore par prélèvement de collections abcédées. La négativité des cultures peut s´expliquer par la fragilité importante du germe en particulier pendant son transport vers le laboratoire [9].
Malheureusement malgré la réalisation de 3 séries d´hémocultures et la recherche du germe dans le prélèvement de la collection, on n´a pas pu identifier un germe et à savoir que le patient était déjà sous antibiothérapie depuis 10jous. L´exploration radiologique est le gold standard pour le diagnostic, notamment le scanner cervico thoracique avec injection du produit de contraste qui constitue l´examen de référence, il permet de visualiser et caractériser un défect endoluminal en faveur d´une thrombose de la veine jugulaire ou de l´une de ses collatérales, d´objectiver une complication locorégionale ainsi qu´une localisation septique à distance notamment pulmonaire, l´écho doppler veineux cervical est un examen non irradiant opérateur dépendant contribue au diagnostic en objectivant une incompressibilité de la veine, et ou l´absence du flux, il constitue ainsi un excellent élément pour le suivi des malades [2,3]. Malgré son cout élevé et sa disponibilité limitée l´imagerie par résonance magnétique (IRM) cervicale permet une étude précise de l´extension du thrombus et une cartographie des éventuelles complications locorégionales. Le TEP-scanner au 18-fluorodésoxyglucose permet un diagnostic précoce du SL, surtout les emboles septiques périphériques, malgré son cout peu accessible contribuera à une prise en charge précoce en complément ou en alternative à l´imagerie conventionnelle [10]. Dans notre contexte la réalisation d´une tomodensitométrie cervico-thoracique injectée a permis de poser le diagnostic, et de révéler la néoplasie œsophagienne sous jacente.
Le SL est une pathologie qui peut être fatale avec une mortalité estimée à 90% en absence d´un traitement précoce et adéquat, une prise en charge optimale permet d´abaisser ce taux à un pourcentage entre 2 et 10%[2]. Le traitement est basé sur une double antibiothérapie de première intention associant une bêtalactamine avec inhibiteur de bêtalactamase ou une céphalosporine de troisième génération, au métronidazole par voie intraveineuse puis une monothérapie parimipénème ou moxifloxacine par voie orale pour une durée totale de 3 à 6 semaines [7]. L´anticoagulation reste très discutée entre le risque de dissémination du thrombus et l´extension septique rétrograde ainsi son utilisation doit faire l´objet d´une discussion multidisciplinaire et au cas par cas. Le drainage chirurgical des collections abcédées avec un lavage abondant trouve tout son intérêt dans l´évolution favorable, ce qui était le cas de notre patient. La ligature-exérèse de la veine jugulaire interne reste exceptionnelle et limitée à certains cas d´évolution [2,7]. Pour notre cas, on a opté pour une double antibiothérapie à base de métronidazole et céphalosporine de 3 éme génération pendant 6 semaines dont les 15 premiers jours étaient par voie parentérale, un drainage chirurgical de la collection cervicale collectée avec une anticoagulation à dose curative à base de HBPM pendant 1 mois, avec une surveillance clinico-biologique et scanographique.
Le syndrome Lemierre est une septicémie évoluant très souvent après une amygdalite, puis compliquée par divers emboles septiques et une thrombose de la veine jugulaire interne dans sa forme typique. C´est une pathologie difficile à reconnaitre qui nécessite toute l´attention du clinicien car tout retard diagnostique ou thérapeutique peut engager le pronostic vital. Son diagnostic doit être confirmé par la radiologie et/ou des examens bactériologiques. Son traitement est essentiellement médical. La surinfection oropharyngée sur un lit tumoral à l´origine de ce syndrome est non rapportée par la littérature d´où l´intérêt de publier ce cas.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêts
Imane Azzam : conception, acquisition de données, analyse et interprétation de données; rédaction de l'article et approbation finale de la version à publier. Zahra Sayad : la conception et désigne, acquisition de données, rédaction de l'article, révision critique pour le contenu. Omar Lassikri : conception, acquisition de données, analyse et interprétation des données, révision critique pour le contenu et approbation finale de la version à publier. Sophia Nitassi : conception, acquisition de données, analyse et interprétation des données, révision critique pour le contenu et approbation finale de la version à publier. Razika Bencheikh : conception, acquisition de données, analyse et interprétation des données, révision critique pour le contenu et approbation finale de la version à publier. Mohammed Anas Benbouzid : conception, acquisition de données, analyse et interprétation des données, révision critique pour le contenu et approbation finale de la version à publier. Abdelilah Oujilal : conception, acquisition de données, analyse et interprétation des données, révision critique pour le contenu et approbation finale de la version à publier. Malik Boulaadas : conception, acquisition de données, analyse et interprétation des données, révision critique pour le contenu et approbation finale de la version à publier. Leila Essakalli Hossyni : conception, acquisition de données, analyse et interprétation de données; revision critique du contenu et l'approbation finale de la version à publier.
Figure 1: collection cervicale antéro-latérale gauche fluctuante, douloureuse avec l´aspect de peau luisante
Figure 2: TDM cervicale C-C+ en coupes coronales A et axiales B en fenêtres parenchymateuses montrant une collection abcédée antéro-latéro cervicale gauche cloisonnée refoulant l´axe aéro-digestif vers la droite, et un processus tissulaire de la bouche œsophagienne rétrécissant sa lumière qui est devenue quasi inexistante
Figure 3: vue cervicale de face prise à J8 : une nette amélioration clinique avec régression presque totale de la tuméfaction cervicale après un traitement médical et drainage chirurgical de la collection
Figure 4: TDM cervicale C-C+ en coupes axiales montrant une régression de la collection abcédée
Figure 5: TDM cervicale C-C+ en coupe axiale montrant un processus de la bouche œsophagienne avec une extension laryngée gauche
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